La Légende des Quatre Sorcières

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On avait toujours dit à Esfir de ne pas s'aventurer dans la montagne, car c'était le lieu où vivait la Sorcière-Hibou, aussi connue sous le nom de Tiangshul la Céleste. Quiconque osait défier l'antique Sorcière risquait sa vie, et rares étaient ceux qui revenaient après avoir gravi le mont Tengor.

Mais après des siècles de légendes que l'on racontait aux enfants, on se rendit compte que le Tergor était juste très haut, et ses parois étaient très raides. Si une sorcière vivait bien là bas, il était probable que le manque d'oxygène, le poids de l'équipement et les températures extrêmes aient eu raison des aventuriers avant même de rencontrer cette femme que l'on disait immortelle. La magie existait, mais tout cela n'avait rien de magique, Tiangshul s'était sûrement installée exprès dans un lieu difficile d'accès afin d'éloigner les curieux.

Mais cela n'allait pas éloigner Esfir bien longtemps. Un curieux de plus qui en avait marre des légendes, et qui voulait entendre l'histoire de la bouche de celle qui l'avait vécue.

Ainsi, notre jeune aventurier prit son équipement. Il faisait beau aujourd'hui dans cette partie de l'Arélie, ce qui était assez rare. Esfir emmena des offrandes à laisser sur l'autel au pied du Tengor, et pria la Céleste de lui offrir sa protection pour le voyage. La première partie du voyage fut sans encombres, comme Esfir s'en était douté. Le paysage avait quelque chose d'apaisant, le village semblait de plus en plus petit, et les vallées s'étendaient à perte de vue. Il y avait de plus en plus de neige cependant, et de plus en plus de formes étranges qui maculaient cette couverture blanche, éblouissante. Il ne fallait plus s'attarder désormais, mais aller trop vite serait tout aussi dangereux.

Esfir marchait depuis des heures et ne distinguait plus son village, un épais brouillard l'encerclait, on ne pouvait plus rien distinguer après quelques mètres. Mais il fallait continuer, la fin de la montagne se rapprochait sans doute. Il n'y avait pas d'air, et pourtant le vent hurlait. Plus d'une fois, Esfir trébucha sur les corps de ses prédécesseurs, parfaitement préservés par la glace. Il ne fallait pas les regarder, il ne fallait pas y penser pour ne pas être le prochain. Mais la tempête l'empêchait d'avancer.

Il y avait un renfoncement dans la montagne, comme une espèce de grotte et Esfir décida de s'y arrêter. S'il y avait un seul endroit où s'arrêter, c'était bien cet abris où les cris du vents étaient moins assourdissants, où ses griffes ne taillaient pas le visage d'Esfir avec tant de vigueur. Ainsi, celui qui avait parcouru tout ce chemin s'écroula au sol le souffle court. Ses parents n'étaient pas au courant pour sa petite promenade, et il ne reviendrait sûrement jamais pour leur en parler. Ses paupières étaient lourdes, et c'était là la fin de son aventure.

Car Esfir avait atteint son but.

Quand Esfir rouvrit les yeux, ses poumons lui faisaient toujours mal, mais la douleur voulait dire qu'il était toujours en vie. Il avait perdu tous ses repères, mais il se trouvait dans une sorte de maison, aux murs similaires aux parois d'une caverne. Au milieu de la pièce se trouvait une personne. La silhouette était si étrange qu'il était difficile d'en déterminer l'humanité. Il s'agissait d'un grand manteau blanc, flottant au dessus du sol, et portant un masque de Hibou, maintenu en place par un grand chapeau. Il émanait de cette silhouette une aura douce, presque bienfaisante.

"Es-tu venu me voir, mon petit?" la voix était aiguë, aussi stridente que le vent qui rugissait dehors. Ou alors, c'étaient les oreilles d'Esfir qui sifflaient.

"Vous êtes Tiangshul, la Céleste?" Il avait du mal à parler, mais la simple proximité avec l'étrange personne lui redonnait de force. Cette dernière acquieça, et demeurant silencieuse. Elle attendait sans doute des explications.

"Parlez moi des autres Sorcières... et du partage du monde." Bien qu'Esfir retrouvait peu à peu son souffle, il lui était toujours difficile de parler, et il privilégiait les phrases courtes.

"Il y a environ mille ans," commença la femme, qui semblait être un fantôme plus qu'une sorcière. "Les sorcières étaient déjà nombreuses, mais quatre d'entre elles se démarquèrent par leurs immenses pouvoirs, leurs noms étaient Merissa, dite la Mère, Vanhi la Flamboyante, Tria l'Industrieuse, et moi même. Nous pensions alors qu'avec nos pouvoirs, nous pourrions nous répartir le monde en quatre, nous avions découvert les secrets de la jeunesse éternelle, nous aurions pu gouverner  indéfiniment, et riches de nos expériences, mener les hommes vers un meilleur futur..." Les oreilles d'Esfir ne sifflaient plus, et la voix de Tiangshul lui semblait moins agressive qu'au départ. Elle demeurait tout de même haut perché, mais emprunte d'une douceur et d'une sagesse infinie.

"Cependant," continua la Céleste. "Tria ne se contenta pas de sa part du monde, puisqu'elle maîtrisait la terre elle même, elle estimait que tout ce qui se trouvait dessus devait lui revenir. L'affrontement fut long et terrible pour nous toutes et pour de nombreux humains. Vanhi, Merissa et moi fûmes forcées d'unir nos forces pour emprisonner Tria dans les profondeurs du sol; nous avions trouvé ironique de l'enfermer au sein de son propre élément. Les légendes attribuent à sa colère souterraine les tremblements de terre et les éruptions volcaniques, mais ils avaient déjà lieu bien avant que Tria n'existe. Après cette terrible expérience, nous avons toutes trois renoncé au partage de Kaar. Au bout d'un an, Merissa renonça à son immortalité pour fonder une famille. L'année suivante, Vanhi décida, sans renoncer à son immortalité, de ne plus cotoyer les humains et de vivre en ermite on ne sait où. Je l'ai suivi encore un an plus tard... Cette disparition des Grandes Sorcières marqua l'an zéro de notre monde. Merissa est morte depuis bien longtemps, mais Vanhi et moi ne pouvons le faire; la prison de Tria n'a été conçue que pour mille ans..."

"Mais nous sommes déjà en 996!" S'écria Esfir, l'interrompant, avant de regretter son emportement. "Vous voulez dire que Tria reviendra d'ici quatre ans?"

"Tu n'as pas écouté," Tiangshul secoua la tête. "Il ne reste qu'un an."

Nouvelles de Kaar (Terminée...?)Where stories live. Discover now