Le silence règne à nouveau dans la pièce, l'écho du silence résonnant dans les couloirs, s'immisçant dans chaque recoin de la maison, dans chaque recoin de mon coeur, qui semble exploser en moi en milliers de petits morceaux.
Ça y est, je l'ai dis. Je l'ai fais.
Mon père se masse la tempe avec son index, et je n'arrive pas à savoir si ses yeux sont humides à cause des larmes ou à cause de la fatigue accumulée ces derniers temps.
- Qu'est ce que tu viens de dire ?
Peut être les deux, en fait. J'en sais rien.
- Roxanne, tu es devenue folle ou quoi ?
La seule silhouette qui ose se mouver dans la pièce est celle de mon chien, qui se détache du tapis du salon pour venir poser son museau sur le bord du canapé.
Mais alors que je tends mes doigts pour venir caresser son petite crâne doré, le grognement de mon père le fait déguerpir de la pièce, la queue entre les pattes.
- Roxanne !
Je lève mes yeux vers mon paternel, et plonge ses iris dans les miens.
C'est la première fois que j'aperçois cette lueur dans son regard ; il ne me regarde plus comme sa fille, mais comme une inconnue. Une catin. Une moins que rien. Une "pd", comme il dit souvent.
À force de l'entendre dire ces mots, je pensais ne pas pouvoir y arriver. J'ai refoulé ma vraie nature, j'ai menti à mon propre coeur, j'ai trahi la seule promesse que j'avais tenue : être moi-même.
Parce que je n'étais qu'une pale copie. Un copié-collé sur une feuille à peine visible, que l'encre n'a jamais voulu noircir de mon histoire. Tout simplement car ce n'était pas moi.
J'aurais voulu pouvoir accepter cette différence, l'assumer devant le monde entier, et crier sur tous les toits, "j'aime les femmes". Car, c'est la réalité. J'aime les filles. Une fille.
J'aimerais pouvoir la leur présenter, leur montrer à quel point elle est incroyable, et leur prouver à quel point je l'aime. Oui, je l'aime. Je l'aime à ne plus pouvoir en dormir la nuit, je l'aime tellement qu'auprès d'elle je perds tous mes sens. A ses côtés, je me sens.... moi même.
Mais je n'arrive pas à montrer mon amour au monde entier. Mon coeur refuse de laisser mes lèvres embrasser sa bouche, mes doigts s'entrelacer avec les siens, mes mains parcourir son corps.
Car mon esprit est toujours à l'étroit, enfermé entre les barreaux que mes parents ont forgé autour de moi.
"C'est écoeurant", "j'ai envie de vomir", "ces pd", "comment on peut légaliser ça ?". Voilà les paroles que mes propres parents ont prononcées pendant toute mon enfance, toute mon adolescence. J'ai commencé à croire que je devenais un monstre. Que j'avais quelque chose de mal.
Mais maintenant que je suis devant eux, devant leurs visages choqués, leurs bouches grandes ouvertes, comme prêtes à laisser échapper la boîte de Pandore, tout autour de moi est comme figé dans le temps.
L'éclat de fierté dans les yeux de mon père s'est transformé en du dégoût, de la honte. Je détourne mon regard et distingue la même expression sur le visage de ma mère, mélangé avec de l'incompréhension.
- Roxanne, tu te fous de notre gueule j'espère ? sors ma mère, les mains sur les hanches.
Je secoue la tête et me lève du sofa en serrant mes poings.
- J'ai l'air de mentir ? je réplique, sentant ma voix monter en crescendo. Pendant des années, je vous ai trahi, j'ai pris pars à vos débats, à vos réflexions, mais maintenant c'est terminé. Je ne veux plus être votre chien. Je ne veux plus dépendre de votre pensée, aussi répugnante soit-elle. Je m'en contrefiche de ce que vous pouvez en penser, car oui, j'aime les femmes, et je suis heureuse. Vous êtes justes trop cons pour savoir ce qu'est le réel amour. Vous ne méritez pas d'être parents. Si vous étiez de vrais parents, vous seriez heureux pour moi, que j'aime les femmes ou les hommes ! Vous m'aimeriez pour ce que je suis, et pas pour l'amour que je porte envers quelqu'un d'autre ! En fait, vous avez honte de moi, de votre fille. Je vous dégoûte. Mais c'est vous qui me dégoûtez.
