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"Erin! Dans le bureau d'Inès! Maintenant!" cria-Nico' en passant à moitié en courant devant mon bureau.

Je savais que même s'il ne me regardait pas, l'ordre m'était destiné; d'une part parce que même si nous étions deux nommées Erin ici, j'étais la seule à qui, il parlait de cette façon mais aussi parce que j'étais aussi la seule qui pouvait inspirer une telle fuite à  Nico'. Il était passé en coup de vent comme absorbé par le téléphone qu'il tenait à l'oreille mais tout le monde -moi compris- savait qu'il ne téléphonait à personne et qu'il n'admettait pas de réponse de ma part. Le reste du bureau me jette des petits regards furtifs et impatients de voir ma réaction. Beaucoup appréciaient de manière plus ou moins malsaine, ce qu'ils aimaient appeler "le jeu du chat et de la souris" auquel nous nous livrions tous deux. 

Ce qu'ils ne savaient pas c'est que ce n'était pas un jeu et que de toute façon, on ne jouait pas avec moi.

Je suis restée cordiale; je me suis levée, ai remis en place le pantalon droit que je portais, suis passée devant le miroir comme si je devais (encore) faire bonne impression à ma chef, puis me suis dirigée tranquillement vers son bureau avec l'assurance qui m'est connue. J'ai pris mon temps certes, mais j'étais la seule à pouvoir se l'autoriser, alors pourquoi s'en priver? Tous mes collègues de l'open-space me regardaient passer: certains souriaient gentiment tant pour se faire bien voir que pour me saluer et d'autres me jetaient des coups d'œil craintifs ou mal assurés. 

Je les comprenais, Inès n'était pas la plus amicale des supérieurs et moi, je n'avais rien à craindre et je pouvais même les défendre si je le voulais. A leur place aussi, je me mettrais dans la poche, histoire d'être sûr que ma place n'est pas menacée. C'était comme lorsqu'un enfant veut quelque chose, s'il est assez intelligent,  il va voir le plus malléable de ses parents, et ici c'était moi.  Je jouais le jeu, je leur rendais souvent service et je dois dire que j'étais plutôt appréciée à mon avis parce que je m'étais toujours montrée loyale. 

Malgré ma démarche lente, j'étais arrivée devant la porte du bureau d'Inès et sans trop de désinvolture, je frappais. Elle me dit d'entrer, ce que je fis pour la trouver dos à moi, debout face à la grande baie-vitrée qui donnait sur la ville et en pleine conversation au téléphone. 

Elle était belle quand même ma pote. Pour tout vous dire, on s'est rencontrées à l'âge de deux ans et demi lorsque nos mères respectives ont repris contact, elles étaient amies avant que nous le soyons et nous ne faisons que perdurer cette belle tradition. Inès avait quelques mois de plus que moi mais étant nées la même année, nous étions au même niveau et souvent dans la même classe. Nous ne nous sommes jamais séparées l'une de l'autre et avons même déménagé en même temps pour la capitale. Inès s'installait chez son père et moi, chez mon grand-père, nous nous voyons tous les jours. Elle m'a tout appris et moi, j'ai toujours assuré ses arrières. 

" Non, je comprends Monsieur. - Elle se tourna vers moi et me fit signe de m'asseoir et elle prit place sur son large fauteuil en cuir qui devait valoir autant que le salaire de sa secrétaire  - Ne vous inquiétez. Tout sera fait comme vous le voulez, je vous l'assure. J'y mettrai tous les moyens dont je dispose."

Je ne sais pas qui était à l'autre bout du fil mais elle avait l'air très concentré et m'avait adressé qu'un seul regard, ce qui était rare. Sa posture aussi trahissait cet était d'esprit presque inquiet qui me déplaisait mais bientôt, je n'écoutais plus, absorbée par le ciel qui se couvrait et menaçait. Il allait encore pleuvoir et je regrettais une nouvelle fois le Sud. Elle raccrocha avant de souffler bruyamment et de me lancer un regard à la fois désolé et fatigué.  

" Désolée de t'avoir fait attendre.

- Pas de problème. - Inès ne s'excusait que rarement et à peu de personnes, je pouvais me vanter d'en faire partie.

- Je dois t'envoyer sur le terrain demain.

- Non, sérieux, Inès? 

- Quelqu'un s'est... Comment dire ? Décommandé.

- Qui? 

- Tu connais pas. - son visage fermé me fit comprendre que ça ne servait à rien de vouloir régler le problème à la source.

- Demain, c'est mon premier jour de congés.

- J'ai pas le choix, Erin. Je dois envoyer quelqu'un en qui j'ai confiance et il n'y a que toi. Appelle Patrick et dis-lui que tu iras le voir plus tard.  - Patrick, c'était mon grand-père avec qui je suis, depuis mon déménagement chez lui, très proche et qui vit désormais  dans le Sud, Inès sait parfaitement que quasiment tous mes jours de congés sont passés chez lui ou avec lui.

- Quand?

- Je sais pas. Fais ce que je te dis s'il te plait Erin.- Elle était agacée et souffla puis se leva pour aller fermer les rideaux qui donnaient sur les bureaux de nos subordonnés avant d'ajouter le ton irrité - Tu veux quand même pas que je confie tout ça à cette bande de bons à rien?

- Non.

- Il n'y a que toi qui peux faire tout ça, je te le demande.

- Je comprend,s Inès mais ça commence à faire beaucoup; entre l'affaire, qui n'avance pas  d'ailleurs, mon boulot de routine et les remplacements de dernière minute comme celui-là. Ca fait beaucoup.

- Tu veux quoi? Un meilleur salaire peut-être? - Je m'étonnais de l'agressivité de son ton, elle me parlait presque jamais comme ça et je fis comme si de rien n'était.

- Non tu sais bien que...

- Oui, excuse-moi, je m'emporte...- deuxième excuse.- Ça avance vraiment pas?

- Pas du tout, et seule c'est encore pire.

- Personne ne peut t'aider.

- Je sais. Je pense juste parfois... 

- A abandonner? Sûrement pas! Je t'interdis d'arrêter, tu entends? Il y a quelque chose d'important là-dessus, j'en suis sûre.

- Inès...

- Ecoute, je n'ai pas le choix. Il n'y a que toi pour faire tout ça et moi aussi, j'ai plein de boulot.

- Oui je sais mais...

- Tu voulais ce boulot, non?- Elle m'avait lancé un ton et regard si noirs que je ne trouvais pas quoi répondre, elle était plus qu'irritée mais elle se ravisa et tendit sa main pour la poser sur la mienne - Excuse-moi. Je m'emporte encore, c'est tout ce boulot qui me monte à la tête. En tant que patron, je dois savoir si tu le feras. -J'acquiesçai, est-ce que j'avais le choix?- Bien, maintenant, en tant qu'amie, je peut t'écouter te plaindre de ton idiote de chef si tu veux."

Elle retrouva le sourire et le ses de l'humour que je lui connaissais si bien. Et comme la journée touchait à sa fin, nous décidâmes de rester un peu pour discuter. Les bureaux se vidaient, elle sortit notre bouteille de dessous son bureau et m'en servit un verre. La pluie commençât à tomber mais je m'attendais à pire. Après quelques heures, nous allâmes dîner puis nous entrâmes chacune de notre côté et en m'endormant après cette journée intense mais banale, je ne pensais pas que demain m'empêcherait, et ce, pour un long moment de partir en congés.

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⏰ Last updated: Aug 04, 2019 ⏰

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Jour de pluieWhere stories live. Discover now