Bibliothèques

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Crowley regardait la ville bruler.

Il avait passé la semaine à tenter d'empêcher l'inévitable, laissant sous-entendre aux instances infernales qu'Alexandrie étant un refuge de pêcheurs, berceau de la Luxure et de la Paresse, la voir partir en cendres serait un coup dur pour eux. Il avait réellement, désespérément tenté de la sauver. Pas par bonté, bien entendu, ou pour toutes ces choses que les anges – un certain ange – estimaient faire partie du « Grand Plan », mais, parce que, grosso modo, il avait énormément entendu parler de la citée et n'avait pas encore eu le temps de la visiter.

Et elle brûlait, sous ses pieds, comme un deuxième soleil sous le ciel d'été. Toutes les tentations qu'il avait exécutées, dans l'espoir de détourner les mortels des questions politiques qui menaçaient de les dresser les uns contre les autres, n'avaient servies à rien. Parfois – et il commençait douloureusement à le comprendre – les gens voulaient se battre, et rien ne les en empêchait. Comment une espèce capable de choses aussi incroyables pouvait, en même temps, si montrer si violente et si bête ?

Il soupira en sortant ses ailes. Le toit sur lequel il était perché commençait à vaciller dangereusement sous l'assaut des flammes et la fumée acre lui brûlait les yeux. Personne ne regardait, de toute façon, et cela faisait des décennies – non, des siècles ! – qu'il n'avait pas eu l'occasion de les étirer.

D'un mouvement gracieux, il se propulsa sur le toit voisin, un peu plus haut. Étrange image, parmi les cendres, que cet homme aux ailes noires et aux cheveux rougeoyant...

Le regard de Crowley se porta vers le plus grand bâtiment de la ville, dont les flammes finissaient d'avaler la dernière colonne. Son cœur se serra. Il n'avait pas croisé Aziraphale depuis presque deux siècles, mais il pensait à lui à chaque fois qu'il approchait d'une bibliothèque. Il ne doutait pas que l'ange, où qu'il soit dans le monde, appréciait particulièrement celle-ci. Il pouvait presque l'imaginer, habillé selon la mode d'Alexandrie – avec une ou deux décennies de retard, certainement – inspirer d'un sourire quelques écrivains charmés, ou s'extasier sur une théorie « incroyablement ingénieuse ». Il pouvait presque le voir...

Il pouvait, en fait.

Son sang se glaça. Sous ses lunettes noires, ses yeux jaunes s'écarquillèrent, horrifiés. Une silhouette était en train de braver les flammes, sur le perron de la grande bibliothèque. Une silhouette qu'il aurait reconnus n'importe où, dans n'importe quelles circonstances. Celle de quelqu'un qu'il connaissait depuis plus de quatre mille ans.

— Aziraphale ! Laissa-t-il échapper, choqué, en laissant ses ailes le porter en avant, vers le centre du brasier, vers le cœur des flammes, vers ce petit homme blanc aux cheveux si pâles qui tentaient désespérément d'ouvrir les portes rougeoyantes de la bibliothèque, ignorant les murs qui s'effondraient autour de lui et la fumée qui commençait à sortir de sa tunique beige.

— Aziraphale ! Cria Crowley en plongeant vers lui, plaquant ses ailes contre son dos pour aller plus vite.

Pour une obscure raison, voire l'ange encerclé de flamme envoyait à travers son corps des ondes de paniques glacées. Il savait qu'Aziraphale ne risquait que la désincarnation, qu'il reviendrait forcément... Mais s'ils décidaient de le réaffecter, ou de le remplacer ? Et la douleur de mourir, étouffé, brûlé ? Il fallait qu'il l'arrête, il fallait qu'il fasse quelque chose...

Mais il était trop tard. La porte s'était miraculeusement ouverte, Aziraphale était entré, et les flammes affamées s'étaient refermées derrière lui, faisant disparaître toute trace de son passage.

Crowley atterrit sur le perron. La chaleur était presque insupportable, même pour quelqu'un qui, comme lui, s'était retrouvé confrontés aux flammes de l'Enfer

Ineffables OS (Good Omens)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant