L'aube nouvelle

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Les bombes ont explosé toute la nuit dans un village voisin. C'est Rachel qui m'en a parlé ce matin. On été en train de choisir une miche de pain sur le marché pour la ramener chacun dans sa famille. Les commerçants qui fleurissaient sur la place il y a encore deux mois ont quasiment tous déserté. A quoi bon venir vendre alors que chacun essaie de survivre comme il peut ? Le vendeur de pain est un des rares rescapés. « Vous savez les jeunes, toute ma famille a quitté le pays il y a bien des années de cela. Je n'ai plus rien à perdre, et je ne plierai pas pour quelques hommes qui ont décidé de nous chasser. Venir ici est mon unique plaisir. Je mourrai sur cette place s'il le faut ». Nous venons deux fois par semaine lui acheter du pain. Il est toujours au même endroit.

- Tu sais, mon amie Leila habite dans le village où ils ont bombardé... Je n'ai aucune nouvelle d'elle. Je ne sais pas où elle est, ni si elle a survécu.

Elle m'a dit ça les larmes aux yeux. Je n'ai pas su quoi lui répondre. Je suis resté là, idiot, avec ma miche de pain dans la main.

Nous avons payé puis nous sommes partis.

Cela fait plus de trois semaines que nous vivons dans la peur. Nous faisons partie des pays qui ont été nommés comme « néfastes » et qu'il faut exterminer. Néfastes de quoi ? Je n'en sais rien. Peut-être ont-ils peur de nous parce que nous sommes différents. Si seulement l'homme ne cherchait pas à détruire tout ce qui lui est inconnu...

Il est difficile de dormir, difficile d'ignorer les sanglots de mon petit frère la nuit, difficile de trouver de quoi se nourrir. Il est devenu difficile de vivre dans notre propre maison. Mes parents se soutiennent, tant bien que mal. Ils soutiennent aussi voisins et amis, tant bien que mal. Je ne sais pas combien de temps nous allons tenir.

L'école a fermé. Plus personne ne s'y rendait de toute façon. Il nous est plus vital d'apprendre à survivre que d'apprendre les mathématiques ou la littérature. Rachel est une de mes rares camarades que je vois encore.

Nous faisons la route du retour ensemble. Nous habitons à deux pas l'un de l'autre. Nous n'avons pas dit un mot depuis qu'elle m'a annoncé pour Leila. Je ne sais toujours pas quoi dire. Quels mots pourraient consoler son chagrin ? Aucun. Je ne veux pas non plus risquer de tuer l'espoir en elle. Nous marchons côte à côte, en silence. Plus aucune pensée positive ne doit traverser l'esprit des personnes alentours. Depuis presque un mois, le cauchemar est devenu notre réalité. Est-ce qu'on pouvait s'attendre à tout ça ?

Soudain, elle me prend la main. Je m'arrête, me tourne vers elle.

- Tu crois qu'on va mourir ?

Je ne l'ai jamais vue aussi sérieuse, aussi triste. Je ne la connais pas plus que ça ; une camarade de classe tout ce qu'il y a de plus banal. Je sais qu'elle s'attache souvent les cheveux en queue de cheval, je sais qu'elle est amie avec Franck, Paula et Nelly. Je sais que c'est une assez bonne élève, qui sait autant s'amuser que travailler. Je crois que Ludo était amoureux d'elle un temps.

Je ne sais toujours pas quoi lui répondre. Elle me fixe, avec ses grands yeux. Je sais qu'elle ne me regarde pas vraiment. Est-ce qu'on va mourir ? J'en sais foutrement rien.

Elle baisse les yeux, lâche ma main, et repart. Je continue la route à ses côtés.

Est-ce qu'on va mourir ? Est-ce qu'il y a un moyen de survivre ? Est-ce qu'ils vont arrêter toute cette mascarade ? Est-ce qu'on va réussir à fuir ? Je n'ose plus poser toutes ces questions à Papa et Maman. Les premiers temps, ils essayaient de me donner des réponses pour que je puisse comprendre. A force, ils n'ont plus répondu que par des regards emplis de tristesse, dénués d'espoir. Je ne veux pas que Léo voit ce regard. Il est si petit... Alors j'ai arrêté.

L'aube nouvelleWhere stories live. Discover now