Chap 35.2 Samedi 11 avril 2015

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*******EMMA*******

Je raccroche les larmes aux yeux. Cette conversation avec mon grand frère m'a drainée de toute mon énergie. Je me sens vide tout à coup. Vide de force mais emplie d'une chose que j'ai du mal à identifier clairement. C'est assez bizarre comme impression.
Je devrais aussi appeler Nick mais là tout de suite je ne m'en sens pas capable. Après de longues minutes, l'esprit un peu comateux, à fixer le vide, je me traîne jusqu'à la cuisine pour me faire un gros mug de thé Orange Pekoe. Ma réserve est presque vide. Ça aussi je devais en ramener...

Mais puisque Brock pense venir, je lui dirai de m'en apporter. La seule pensée de mon grand frère bientôt ici me réjouit et me donne un coup de fouet salvateur... juste assez pour retourner me pelotonner dans mon plaid sur le canapé et réenclencher le mode passif.

Cette fois j'opte pour la série la Petite Vie*. Envie, besoin de me plonger dans mes racines ? Si tant est que je puisse considérer que ça soit réellement mes racines. D'ailleurs que dois-je ou puis-je considérer comme mes racines ? Celles de mes parents adoptifs, ce que j'ai toujours connues, là où j'ai toujours vécu ou celles de mes parents biologiques ? Suis-je soumise à un héritage de mémoire collective ? J'ai toujours pensé que non. Je ne me suis jamais sentie esclave, descendante d'esclave ou tout simplement dépendante de l'héritage de mon ethnie. J'ai étudié comme tout un chacun l'histoire dans sa globalité sans me sentir investie d'un quelconque devoir de mémoire.

J'avais lu une fois quelque chose sur le mimétisme environnemental, du moins c'est en ces termes que je m'en souviens. Un chien élevé depuis sa naissance par des humains, s'identifiera aux humains et les autres chiens lui apparaîtront comme ne faisant pas partie de la même catégorie que lui. Etrange n'est-ce pas ? Alors forcément, moi qui suis noire, élevée par des blancs je me suis posé la question à la suite de cette découverte : Est-ce que je me considère comme blanche ? Le noir me paraît-il étrange ? La réponse est ni l'un, ni l'autre. Je me considère comme une femme ayant la peau noire et vivant avec des parents ayant la peau blanche. Rien de plus. Rien qui donne une autre dimension à la chose. C'est juste une couleur de peau, comme le fait d'être blond, brun ou roux. Cela n'induit en rien ce que je suis et ce que je ferai de ma vie. Qu'importe ma couleur c'est avant tout mon éducation qui dirigera ma vie ! Je crois que c'est pour cela que je n'avais jamais voulu en savoir plus sur ma naissance.

J'étais née un treize mai à l'hôtel-Dieu de Québec. Mon père était Richard Scott-Hallyway, qui avait épousé son amour de jeunesse, Gayle Anderson. J'avais un frère de dix ans mon aîné et j'étais aimée et choyée de tout ce beau monde. C'était le seul fait tangible qui importait à mes yeux.

Mais voilà, j'en savais plus maintenant. Un plus qui se situait au début de mon identification habituelle, avant ce treize mai 1991 et c'était un véritable drame. J'ai été conçue lors d'un viol. Acte infâme, innommable, monstrueux. J'ai été imposée à ma mère biologique lui infligeant une blessure profonde et à jamais ancrée en elle. Une plaie béante que rien ne pourra jamais guérir et cicatriser !

Ce plus me rongeait de l'intérieur me faisait mal, rendant mon avenir triste et incertain. Je n'avais plus les bras et le ventre chaud rassurant de ma mère contre lequel me lover. Je voulais lutter contre cette apathie qui menaçait de m'engloutir tout entière. Je voulais rester forte et faire fi de toute cette histoire. Prendre cela comme une information quelconque. Quelque chose qu'on apprend, qu'on intègre, qu'on classe si on pense en avoir besoin dans notre fonctionnement un jour ou alors qu'on rejette tout simplement comme un surplus inutile. Je n'y arrivais pas ! Je faisais un pas en avant dans ce sens et me remémorais tout ce qui avait fait ma vie jusqu'alors et qui me convenait parfaitement : Mes études, le cursus choisi, ma carrière, le violon, le chant toutes ces choses qui me remplissaient de bonheur. L'instant d'après, c'était trois pas en arrière. J'étais envahie de sombres pensées : Ma mère biologique se faisant violer, ses pleurs, ses larmes, ses cris. La haine qui emplissait son cœur... contre lui, contre moi plus tard pour être restée en elle. Une haine qui continua à croître jusqu'à sa délivrance mais qui encore aujourd'hui est peut-être encore présente.

Destins croisés : It's always been us T2Where stories live. Discover now