Prologue

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Sud de la France, fin août

L'inconvénient des photographies, c'est qu'elles ressurgissent toujours au moment où on s'y attend le moins. Elles sont rarement opportunes, parfois même malvenues. C'est le cas pour celle-ci.

Lorsqu'elle est tombée à mes pieds, j'ai sursauté en la voyant. L'espace d'un instant, j'ai même cru qu'elle n'était que le fruit de mon imagination. Mais hélas ! non, elle était bien réelle.

Je ne veux plus la voir. Je ne veux plus y penser. Les dents serrées, je me penche et la récupère du bout des doigts, le cœur au bord des lèvres. J'ouvre la vitre à ma droite et, sans réfléchir, jette la photo au-dehors. Les trois enfants, deux fillettes et un petit garçon, disparaissent au loin, tourbillonnant dans le vent.

— L'environnement, la pollution, tout ça, ça ne vous dit rien ? s'insurge le chauffeur.

Je cligne des yeux pour en chasser les larmes, et il enclenche le mécanisme de fermeture tandis que je me rencogne dans mon siège, les mains tremblantes. À travers la fenêtre un peu trouble du taxi, j'observe le paysage avec attention. Le soleil brille et m'éblouit. Je ferme les yeux et inspire lentement par le nez, tentant de me calmer.

L'impatience qui gronde dans mon ventre se mélange à un autre sentiment, plus sombre, presque paralysant, une angoisse diffuse qui ne me quitte pas. Le genre de peur que l'on ressent lorsque l'on tourne la page, que l'on est sur le point de plonger dans l'inconnu. L'inconnu m'a toujours terrifiée. J'ai l'impression d'être au bord du vide, à la merci d'un gouffre sombre et profond dans lequel je m'apprête à sauter.

Je me sens à la fois excitée et terrifiée, enthousiaste et déprimée. Ce nouveau départ, je ne l'ai pas choisi, mais il me le fallait.

Le regard condescendant de Sébastien me revient en mémoire et je serre les dents. Même sur la photo, il avait l'air hautain. Comment ai-je pu seulement espérer que ça fonctionne ?

J'inspire longuement. Un nouveau départ. Voilà ce qu'il me faut. Loin de Sébastien, loin des souvenirs qui m'étouffent.

Les yeux toujours rivés au paysage extérieur, j'observe les grands immeubles se succéder. Très vite, ils disparaissent pour laisser place à de jolies maisonnettes. Certaines ont même de petits jardins. Un nouveau départ. Je quitte Paris pour une petite bourgade du Sud, remplace la pollution par le soleil, les humiliations par un espoir que j'espère ne pas être vain.

Et qu'est-ce que je souhaite, au juste ? Je n'en suis pas certaine. Pouvoir tenir mes nouvelles résolutions serait déjà une belle victoire... « Trop bon, trop con », murmuré-je pour moi-même, me remémorant mon mantra.

C'est Sébastien qui m'a appris cette leçon. Les souvenirs tourbillonnent dans ma tête, menacent de me noyer. J'ai pris une décision, et je compte la tenir. C'en est terminé de la gentille, la mignonne, la serviable Clara. Je ne veux plus en entendre parler.

Je ne vais plus me montrer agréable, complaisante, attentive ou sympathique. C'est terminé. La nouvelle Clara est froide et distante et surtout, surtout, pas serviable pour un sou.

Je me répète cette phrase en espérant qu'elle rentre. La Clara qui prêtait ses cours, donnait ses astuces ou même préparait la classe d'un collègue est morte et enterrée. Sébastien s'en est assuré. Il l'a ensevelie six pieds sous terre, elle n'a pas eu la moindre chance de s'en sortir.

La nouvelle Clara n'est ni serviable ni gentille.

— On est arrivés. Vous voulez de l'aide avec votre valise ?

La voix du chauffeur me fait sursauter. Devant moi s'élève un grand bâtiment de pierre grisâtre, dont les murs sont envahis par de longs entrelacs de lierre. Tout autour, de l'herbe verte et de ravissantes fleurs s'épanouissent. Un portail en bois brun délimite la propriété. Une étrange impression de calme flotte tout autour des lieux, une sérénité qui semble m'appeler.

En lisant le nom de la propriété, qui se dresse fièrement en lettres dorées, je sens pourtant mon estomac se nouer.

La bonne nouvelle, c'est que le loyer est très, très peu cher. Et croyez-moi, c'est un euphémisme.

La mauvaise, c'est qu'il se paie en services. Des services... pour rendre service. Évidemment. Ce qui est totalement à l'opposé de ma nouvelle mentalité...

La Résidence des Ricochets risque de détruire tout ce que je n'ai pas encore construit.

Parce qu'à la Résidence des Ricochets, on s'entraide comme nulle part ailleurs, disait l'annonce.

Eux, ils n'ont toujours pas compris.

Trop bon, trop con.


***

NDA : Pour cause de publication aux Editions Sudarènes, ce roman a été partiellement retiré de la plateforme. Seuls les premiers chapitres sont disponibles ici.

La Résidence des Ricochets [Publié aux Éditions Sudarenes]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant