Il neige sur Toulon

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Il y a des choses qui ne changent jamais.

Après l'effort, le réconfort ! Ma vie a toujours été rythmée par ce proverbe. C'est donc naturellement que mes sens d'aventurier s'éveillent, à nouveau taquinés par les rayons solaires. En sursis de mes obligations, je prépare mon pèlerinage sudiste estival qui, comme à son habitude, revêt malgré moi un caractère cérémoniel. Ainsi nous voilà voguant sur la mer d'asphalte en guise d'acclimatation.

J'ai toujours observé avec grande attention les spectacles de vie que proposent ces longs voyages à travers la province. Stigmates des engourdissements de midi, les autochtones ne réagissent pas aux vrombissements de notre voiture haletante à mesure que nous traversons successivement Grenoble et Vif. Je m'enquière des manifestations à venir dans la salle des fêtes de ce grand hameau et m'imagine volontiers y prendre part aux côtés des riverains daignant nous regarder passer, mais déjà atteignons-nous ses frontières.

De forêts en prairies et de prairies en champs, les teintes verdoyantes agonisent rapidement, dévoilant malgré elles les hécatombes typiques qui nous attendent. J'apprends des carcasses jaunes brunâtres escortant la route que le soleil règne en tyran sur ces terres. Dieu mauvais, il est le bourreau de ses sujets pourtant convaincus de ses vertus - par malice ou habitude, personne ne s'en souvient. Mes pensées voguent quelques heures de plus au gré de cette mer agitée, et nous voici déjà arrivés à Gap, bastion de l'astre. Profitant d'une absence du Seigneur des lieux, la population s'anime d'une fougue que je ne connaissais pas. Cette effervescence contraste joyeusement avec la morbidité des alentours, et je me surprends de nouveau à m'imaginer participer à ses mondanités.

Ma léthargie s'évapore à mesure que nous approchons de Toulon, et j'apprends à mes dépends que le contrôle du despote astral s'est étendu à la Provence. Même la bonne Mer n'a pu s'y opposer. La chaleur semble figer toute chose, l'air y compris, et nous accable du fardeau d'Atlas : chaque mouvement correspond à un grand déplacement de vide – pourtant devenu bien lourd ! Nous chancelons jusqu'à notre cabanon et me reviennent les souvenirs de chaque été passé dans ce luxe miséreux. J'imagine déjà la rencontre annuelle avec ces voisins devenus amis, les nouvelles et les anecdotes traditionnellement partagées autour d'un aïoli ou de plusieurs pastis. Mais pour l'heure nous poussons l'effort jusqu'à la plage en contrebas où une seconde mer d'huile accueille les échaudés.

Sur le chemin nous croisons Danièle, une voisine. Réjouie mais grave, elle nous apprend que son mari Christian est décédé. Un peu plus loin, nous constatons que la propriété des Nicolini est à vendre. Hébétés par une douloureuse mélancolie, nous atteignons ainsi l'objectif de ces huit heures trente de voyage. En m'immergeant dans l'eau je réalise qu'il y a des choses qui ne changent presque jamais.

Il neige sur ToulonWhere stories live. Discover now