Tibéria

Partie 1 sans titre

Un vrombissement sourd montait des collines sans discontinuer, cœur battant de l'été; dans les vagues de chaleur accablante, cachées sur l'écorce des arbres, un orchestre de cigales s'en donnait à cœur joie. Leur musique entêtante se diffusait sur toute l'île, portée par la brise marine dans le ciel inondé de lumière.

«Mais par tousles dieux de l'Olympe, qu'ils posent leurs archets, ces petits musiciens infernaux ! » Ragea Tibéria, remuant du pied la poussière sur le sol. En cet instant, tout l'insupportait.

Tibéria avait le cœur serré d'angoisse. Son père la retenait sur la terrasse, parlant de choses et d'autres, et l'heure avançait irrémédiablement.

Gaïus l'attendait. Elle aurait déjà du être sur le lieu du rendez-vous, alors qu'elle n'était pas encore partie de chez elle. 

« Que pensera-t-il ? -s'interrogea la jeune fille- Il pensera que je suis une fille comme les autres, sûrement, qui se débine parce qu'elle a peur. Ou pire, que je n'ai pas de parole. Que je l'ai oublié, peut être... » Par Junon, s'il savait ! Comme elle était incapable d'arrêter d'y penser, depuis leur rencontre et leur premier rendez-vous ! Il ne serait pas triste, pas une seule seconde. Trop fier, trop indifférent pour être affecté par les êtres humains, il l'oublierait juste avec un rictus méprisant, agacé d'avoir succombé à une personne, encore une fois, trop humaine. Elle devait tenir des nymphes pour avoir réussi à l'attirer une journée, ne serait-ce qu'une seule. En temps ordinaire, elle aurait demandé à son père de la laisser partir. Elle disposait d'un prétexte royal. Cette rencontre avec la famille Antonius, qu'on lui avait imposée ce matin là, était l'occasion rêvée de faire un détour en chemin pour s'évader quelques instants. Mais quelque chose dans la voix de son père l'empêchait de l'interrompre. Ses yeux gris perdus dans le vague, il avait l'air nostalgique.

« Tibéria Minor, ma fille bien-aimée, je cois que rien n'est plus beau que l'été en Sicile. Tu sais, ce pays, on le ressent au fond du cœur, il est vivant... » il s'arrêta un moment.

« Il est habité. Par par de simples hommes, il est le berceau de nos divinités, et elles s'expriment souvent, encore faut-il savoir écouter...  »

« Papa, que se passe-t-il ? » demanda la jeune fille, cédant à l'impatience.

Il marqua un silence, puis sa voix baissa d'un ton, chutant dans des accents plus graves et, sombrement, il déclara ;

« Ce matin, lorsque je me suis éveillé, l'aube pointait. Mon cœur était serré d'émotion, je venais de rêver du jour de ta naissance. J'ai revu ta mère, pâle comme les voiles des bateaux à l'horizon, qui portait ce petit bouton de rose dans ses bras, il y a dix-sept ans... Je me suis levé et je suis venu dans ta chambre, tu dormais encore,  belle comme un lys dans le lit d'un ruisseau... Par la fenêtre, j'ai vu quatre hirondelles se poser sur le bord du toit, au dessus du porche. Trois d'entre elles étaient dans l'ombre, une était dans le soleil. »Il baissa soudainement les yeux, et ses traits tannés par le soleil frémirent comme sil retenait une larme. Une pointe d'angoisse vrilla le cœur de la jeune fille, mais son père interrompit son élan ;

« Mais va, ma fille, je ne te retiens pas plus longtemps. Je suis heureux que tu ailles rencontrer la famille de ton futur époux, » ajouta-t-il.

Tibéria ne se leva pas tout de suite, repensant à son propre rêve de cette nuit. Clairement pas de la même nature. Son père avait déjà, par le passé, prouvé qu'il pouvait prévoir certains aspects de l'avenir en décryptant les augures des cieux. Cette fois-ci, ses paroles ne présageaient rien de très heureux, et elle avait peur de le quitter. Finalement, se décidant brusquement, elle salua son père, avec plus de tendresse qu'à l'accoutumée, et s'élança à toutes jambes dans les rues d'Aturezzi. Chaque claquement de ses sandales sur le pavé semblait marquer une seconde de retard. Elle raisonnait tout en fuyant;