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Il faisait nuit noire lorsqu'ils sortirent de la librairie. Crowley fit mine de ne pas remarquer la façon dont Aziraphale serrait son livre contre lui, ou comment il jetait des regards furtifs aux alentours pour s'assurer que personne ne le voyait.

Crowley savait que cela prendrait du temps à son ami pour accepter les choses. C'était un peu comme ―il supposait― si un humain se réveillait amputé des quatre membres. On se sentait, outre la douleur, comme un déchet : inutile.

Certains démons, comme Crowley ou Belzébuth, avaient réussi à ne pas laisser ce sentiment diriger leur vie et à garder un semblant de contrôle. Mais la plupart perdaient pied et faisaient n'importe quoi pour se prouver qu'ils valaient mieux que le voisin. Au fil des siècles, ils prenaient un plaisir sadique à faire tomber les humains.

Cela n'allait pas arriver à Zira, se jura Crowley en ouvrant la portière. Il allait s'assurer que le blond comprenne que la vie ―pour ne pas nommer quelqu'un d'autre― pouvait vous froisser, vous briser, vous éclater par terre, vous gardiez toujours la même importance et la même valeur. Les possibilités changeaient, mais il n'y en avait pas moins.

― Crowley ?

Il se tourna vers Aziraphale.

― Oui ?

Le nouveau déchu le regardait de la même façon qu'un enfant ayant fait une grosse, très grosse bêtise. Le genre de regard qui demandait : « tu es fâché ? » ou, de façon plus triste : « tu vas m'abandonner ? »

Le cœur prétendument inexistant de Crowley se tordit de manière incroyablement douloureuse.

― Tu ne démarre pas ? demanda le blond avec inquiétude.

Le démon regarda ses mains posées sur le volant, tapota des doigts d'un air pensif, avant de prendre sa décision.

― Pas tout de suite. J'étais en train de penser qu'il fallait que je te dise autre chose avant.

Il se tourna sur son siège pour faire face à son ami.

― Alors... Je te préviens, ça va être... (il esquissa une grimace dégoûtée en agitant la main) sentimental. Voilà. Bon. On ne va pas en faire un plat, pas vrai ? Après tout, tu parles bien tout le temps d'amour ineffable, je suppose que c'est mon tour maintenant, pas vrai ?

― Mon cher...

Aziraphale commença le geste de lui attraper la main, avant de se rétracter.

― Tu n'es pas obligé de me dire ce que je veux entendre, surtout si cela te met mal à l'ai...

Crowley le coupa par un gémissement exaspéré.

― Mon D... Quelqu'un, mais comment c'est possible d'être à la fois si intelligent et si obtus ?

Le blond fit un petit sourire d'excuse.

― Je suppose que je ne suis sans doute pas aussi intelligent que je veux bien le faire croire.

― La ferme. J'essaie de t'expliquer un truc capital. Et si tu t'excuses, ajouta-t-il alors que le blond ouvrait la bouche, je... Je ferais... quelque chose. D'accord ?

Il attendit qu'Aziraphale ait hoché la tête, avant de poursuivre.

― Bon. Je... (il fixa le visage rond un instant pour se concentrer, puis inspira) Bon. Zira, je voulais juste que tu sache que... Je comprends. Je suis passé par là, et même si c'était un peu différent, je peux imaginer ce que tu ressens. Ce que tu penses de toi, ajouta-t-il d'un ton doux.

― Et... Je pense quoi ? demanda le blond sur un ton de défi.

Crowley tendit une main, et, après une hésitation, Aziraphale y glissa la sienne.

La Chute d'AziraphaleWhere stories live. Discover now