Chapitre 15 - 11h45

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Julie se leva et partit rejoindre son jeune frère. Il était dans sa chambre, la pièce de la maison qu'elle appréciait le moins. C'était la tanière de l'adolescent. Un antre où régnait le désordre : des vêtements gisaient au sol, des paquets de gâteaux entamés trainaient un peu partout avec des bouteilles de sodas à moitié vides. C'était aussi la pièce qui était le moins aérée. Parfois, Sarah profitait d'une de ces absences et venait avec un grand sac poubelle. C'est qu'elle avait un côté assez maniaque. Romain n'aimait pas qu'on le dérange ; et détestait quand on franchissait le seuil. Ce fut pour cette raison que Julie entra sans frapper.

Comme à son habitude, la chambre était dans un état déplorable. Les stores étaient abaissés, la fenêtre fermée. La lumière était allumée. La pièce était étroite. C'était la plus petite de la maison. Même la salle de bain était plus grande. Romain ne pouvait posséder que son lit à deux places, une armoire et son bureau, où trônait son ordinateur. L'adolescent se redressa aussitôt qu'il aperçut sa sœur, qui jetait un regard dégouté sur les posters de groupe de métal, gothique et satanique, accrochés aux murs. Une odeur empestait.

— Tu devrais aérer. C'est irrespirable.

— Qu'est-ce que tume veux ?

Julie tira la chaise du bureau et s'installa.

— Je suis venu te prévenir que Chris était rentré. Mais, tu as de la chance. Il n'est pas en état de s'occuper de toi, mais tu n'y échapperas pas. Tu devras t'expliquer.

L'esquisse d'un sourire se dessina sur les lèvres de l'adolescent.

— Ma pauvre... Comme d'habitude, tu es à côté de la plaque. Tout se passe sous tes yeux et pourtant, tu ne vois rien. Lorsqu'il te dira ce qu'il a fait, tu comprendras pourquoi j'ai demandé à être placé. Je l'ai fait pour me protéger.

Romain confirmait ces craintes. Chris leur cachait quelque chose.

— Dis-moi ce qui se passe.

Il secoua la tête, remit son casque sur les oreilles et pianota sur son téléphone. La conversation était terminée. Il se rallongea sur son lit et ferma les yeux. La jeune femme regarda autour d'elle et ses yeux se promenèrent sur l'étagère de la chambre. Il y avait encore des livres d'écoles. Julie s'en approcha et lut les titres sur les tranches :

1950 : ANNEE DE R. SCHUMAN

Julie s'en souvenait. C'étaient des petites brochures d'une centaine de pages, imposées au collège, qui expliquaient comment l'Europe s'était relevée de la Seconde Guerre mondiale. Elle regarda la collection, où il manquait quelques numéros :

1951 : CREATION DU CECA

1954 : CEE ET LE PAC

1955 : L'EUROPE DOUANIERE DES SIX

1962 : L'EUROPE ET LA CHUTE DU MUR DE BERLIN

1964 : L'EUROPE ET L'ACCORD DE SCHENGEN

1967 : L'EUROPE ET L'ACCORD DE MAASTRICHT

1972 : L'EUROPE ET L'UE ARMY

1974 : L'EUROPE ET L'UE MARINE

1975 : L'EUROPE ET L'UE AIR FORCE

1989 : L'EUROPE INVENTE LE WEB AU CERN

1995 : L'EUROPE DURCIT SA POLITIQUE MIGRATOIRE

1999 : L'EUROPE DES VINGT-HUIT

2003 : L'EUROPE ET LA CONQUETE SPATIALE

2009 : L'EUROPE ET LE DEBUT DU BREXIT

Et le dernier, celui qui était tombé sur la couverture :

« 2010 : L'EUROPE MET EN PLACE DE SON BOUCLIER SPATIAL.

Julie se tourna vers son frère. Il était passionné par l'histoire de son pays. Elle savait qu'il aimait les relire. Yann aussi était très sensible à sa patrie et à ces valeurs. Sarah, quant à elle, détestait ces petits livres. Elle avait toujours été révoltée que ce genre de manuel, qui s'apparentait selon elle à des livres de propagande. Elle avait un avis tranché sur tout. Romain était incollable sur tout ce qui touchait l'Europe. Elle attrapa une balle de tennis qui trainait sur l'étagère et l'envoya sur son frère. À nouveau, ce dernier enleva son casque et lui demanda ce qu'elle faisait encore là.

— J'aurais une question, ou deux. Ce matin, dans une conversation, j'ai entendu des termes que je ne connaissais pas : des agents fédéraux.

Une lueur d'intérêt alluma son regard.

— C'est une légende urbaine, répondit-il. Les agents fédéraux ne sont pas censés exister dans notre pays. Malgré les traces qu'ils peuvent laisser derrière eux, le gouvernement a toujours nié leur véracité. Ils ne sont pas nombreux et ils agissent dans l'ombre. Certains pensent qu'ils travaillent pour les plus hautes instances du Parlement européen. Ils sont, en quelque sorte, les fantômes de nos services secrets.

La jeune femme hocha la tête et demanda :

— Et l'Agence, tu connais ? L'Agence Gouvernementale ?

Cette fois, l'adolescent se leva et récupéra son fauteuil. Il s'installa devant son bureau. Il s'apprêtait à chercher quelque chose, mais il s'arrêta et observa sa sœur une seconde avant de dire :

— Où as-tu appris ce mot ? Encore une fois, son existence est officieuse. Mais, il y a tellement de rumeurs qui courent à son sujet, que le doute n'ait guère permis. L'Agence serait un gigantesque complexe, caché à l'abri des espions. Ce serait l'endroit le plus secret et protégé de tout le pays, où sont regroupés plusieurs départements sensibles. J'imagine que les futures technologies militaires y sont développées, tout comme je pense que c'est dans cet endroit où ont été emmenés les débris de l'aéronef de Dalnegorsk dans les années quatre-vingt.

Julie secoua la tête. Elle avait perdu le fil.

— Sur la toile, nombreux sont ceux qui le cherchent, par tous les moyens. Mais, certains soupçonnent que l'Agence soit un complexe souterrain alors autant dire que personne ne l'a jamais trouvé. C'est que des bases secrètes, il y en a dans toute l'Europe, mais personne ne peut savoir où serait un tel complexe.

Julie commençait à rebrousser chemin. Elle avait eu les réponses qu'elle voulait et elle n'avait pas envie d'écouter son petit frère partir dans un délire sur une théorie du complot. Ce dernier sortit une grande feuille A3 d'un de ces tiroirs, qu'il déplia. C'était une carte d'Europe. Mais, Julie ne pouvait plus voir les détails. Elle était déjà devant sa porte.

— Je vais te montrer. Tu vois ici... au milieu de nulle part. Il y a une explosion hier après-midi. Elle aurait été colossale. La terre aurait tremblé partout dans le pays, mais nous sommes suffisamment loin pour n'avoir rien ressenti. Là-bas, les autorités sont sur le pied de guerre, mais personne ne peut s'en approcher car l'explosion aurait eu lieu dans une gigantesque base de l'armée. L'internet est en ébullition et tout le monde pense que la détonation provient de l'Agence...

Il se tourna vers elle.

— Julie, est-ce que tu m'écoutes ?

Non, elle ne l'écoutait plus. Elle venait de décrocher. Elle sentait comme une peur se diffuser en elle. Quand Romain se tût, elle tendit l'oreille et se rendit compte qu'il y avait de l'agitation dehors. Elle quitta la chambre, en bredouillant une excuse et fila vers l'entrée. La cuisine était vide. Où étaient Sarah, Chris et Yann ? Son angoisse s'intensifia. Elle ouvrit la porte et se figea sur le seuil. L'Ombre frappait à son portail.


Luciano et le retour de la lumièreWhere stories live. Discover now