Reprise

544 30 17
                                    

Cologne, début mars

La sonnette retentit alors qu'Anders est dans sa salle de bain, occupé à se sécher les cheveux.
— Zut ! Il est en avance !
Le son strident résonne à nouveau, et le jeune homme abandonne son sèche-cheveux pour se précipiter vers l'entrée. Il décroche le visiophone et s'exclame :
— Tu peux monter !
Il déverrouille la porte de l'immeuble avant de filer en quatrième vitesse finir de se préparer, ou au moins s'assurer d'être présentable. Il revient tout juste dans le salon quand des coups sur la porte se font entendre.

— Reste où tu es, Sunshine ! Pas bouger !
Le Poméranien grogne un peu, mais reste dans son panier et observe, de loin, son maître retourner dans le petit hall d'entrée. Il réapparaît quelques instants plus tard avec un grand jeune homme qui lance un œil amusé à l'animal.
— Toujours pas décidé à venir me dire bonjour ?
— Je crois que c'est vraiment peine perdue, avoue Anders en se grattant l'arrière du crâne d'un air gêné.
Sunshine n'a jamais pu supporter Bastian, qui a pourtant tout essayé pour gagner les faveurs du petit chien. Friandises, jouets, caresses et compliments... Rien n'y a fait. Sunshine grogne et gronde dès que l'autre homme l'approche, et Bastian a fini par renoncer, un peu tristement.

— Alors, prêt ?
Anders sourit.
— Oui, tu es arrivé pile au bon moment.
— Parfait. On a encore le temps, ceci dit, mais bon, avec le trafic en centre en ville, autant prendre un peu d'avance.
Anders acquiesce et jette un petit coup d'œil à son chien qui approche prudemment, ventre contre terre.
— Ah, tu trouves quand même le courage de venir dire au revoir à ton maître, c'est déjà ça, remarque Bastian, amusé.
— Il doit se douter que je vais l'abandonner à son triste sort.

Le jeune homme pose un genou à terre et attrape son chien, le serre contre lui, puis lui lance un jouet pour l'éloigner. Il en profite pour ouvrir la porte et sortir sans se faire remarquer.
— Je l'aurais bien emmené avec nous, mais si c'est pour lui mettre une muselière pour l'empêcher de te sauter au visage...
— Pas de souci. Je comprends. Je suis vraiment désolé. D'habitude, je n'ai pas de souci avec les animaux.
— Il ne faut pas chercher. Il a ses petites humeurs.
Bastian sourit à nouveau, puis passe devant dans l'escalier. Sa main droite, dont le revers et les premières phalanges sont tatoués, s'agrippe fermement à la rambarde.

Bastian est sans doute l'une des seules personnes qu'Anders peut considérer comme son ami dans cette ville de Cologne où il n'est pas grand-chose, juste seul et un peu perdu. Sa présence a rendu le retour de Corée du Sud un peu plus facile, en comblant, sans vraiment la remplir complètement, l'absence de Dmitri et de Heather à ses côtés.

Sebastian, dit Bastian, Gärtner, aujourd'hui âgé de 31 ans, est un vétéran aux yeux d'Anders ; il est arrivé à Cologne peu de temps après lui, après avoir fait un tour en ligue finlandaise. Il a roulé sa bosse dans de nombreuses équipes, a fait un passage express en NHL avant d'être envoyé dans une ligue mineure mieux adaptée à son niveau, pour enfin retourner en Europe où il paraît décidé à finir sa carrière. 

Bastian porte les stigmates de celle-ci sur son visage : son nez, cassé à plusieurs reprises, dévie légèrement, plusieurs de ses dents ont été brisées pour ensuite être remplacées. Il s'est fracturé le poignet, la cheville, deux côtes. En dépit des écueils, l'Allemand reste beau, d'une beauté classique, les traits bien dessinés et masculins. Ses yeux, d'un vert clair, trahissent sa douceur et son calme.  Malgré tout, l'être tout entier de Bastian témoigne des difficultés et des écueils que ce sport exige d'eux, et quand il le regarde, Anders trouve presque parfois le courage de faire ce qu'il veut faire depuis si longtemps : rendre ses patins, son équipement et sa crosse, et ne plus jamais toucher un palet de sa vie.

— Je n'ai pas trouvé de place devant chez toi. Du coup, je suis un peu plus loin.
— Pas de souci.
— Et je n'ai pas pris de ticket, donc j'espère qu'on sera là à temps pour m'éviter la prune !
Anders lâche un petit rire et presse le pas pour garder le rythme des grandes enjambées de son ami. Ils forment tous les deux un duo atypique ; fidèle à lui-même, Anders a choisi des vêtements à la mode et branchés. Bastian, de son côté, a fait un petit effort sur son style habituel, mais garde cet aspect casual et décontracté, presque nonchalant. Il porte une veste en cuir, jetée sur un t-shirt noir, accompagné d'un jeans délavé et de grosses bottes au bout râpé. Assorti à ses tatouages, cela lui donne également un petit côté rugueux, qui a eu moins le mérite de tenir les autres à distance.

Soleil d'hiverWhere stories live. Discover now