Chapitre 3, ou comment se préparer pour l'impréparable [Corrigé]

258 51 67
                                    

Elle esquissa un sourire, les lèvres tremblantes et acquiesça. Nous continuâmes à manger en silence puis, après lui avoir souhaité bonne nuit du bout des lèvres, je me dirigeai vers les chambres. L'une d'elles était réservée à mes parents, une autre aux filles et la dernière aux garçons. J'entrai par la deuxième porte et refermai lentement le battant. La pièce était plongée dans le noir et le silence. À ma gauche, le lit superposé était occupé par mes deux petites sœurs tandis que le second lit superposé, à droite, était tristement vide.

Leyla couchait en haut, à l'époque. Ses dessins ornaient encore les murs. Désormais, j'étais seule, mais j'avais gardé l'habitude de dormir sur le couchage du bas comme s'il y avait une chance pour que, un jour, ma sœur revienne dans son lit. J'avançai à l'aveuglette dans la pièce et m'assis sur mon matelas pour délacer mes chaussures sans bruit. Ce n'est qu'alors que je me rendis que ce silence était trop profond pour être normal. Mes sœurs étaient des vraies ronfleuses ! Soudain, comme deux diables sortant de leur boîte, je vis leurs silhouettes se redresser dans leur lit.

— Alors ? s'exclama Johanna, sur le lit supérieur. T'as gagné ?

Elle avait dix ans, une énergie et un caractère venu tout droit de l'enfer caché sous un minois angélique. Sa passion ? Écouter le récit de mes combats en rêvant d'être à ma place. Et peut-être que ça faisait de moi une mauvaise sœur, mais j'adorais les lui raconter. J'aurais dû me douter qu'elle m'attendrait. Sur le lit inférieur, je vis deux grands yeux verts briller. Aline me regardait sans bouger et, comme à son habitude, sans dire un mot. À tout juste sept ans, elle était l'opposé exact de Johanna : silencieuse, délicate et sensible, elle préférait écouter et observer plutôt que parler. Aline était la seule fille de la famille à avoir hérité des yeux verts de notre père.

Retenant un rire, je leur racontai mes exploits du soir, comprenant l'arrivée de la garde et ma course à travers les couloirs, omettant seulement le passage où je criais le slogan des terroristes. Elles n'avaient pas besoin de savoir cela. Jo appuyait mes propos de sifflements impressionnés, de sursauts et de cris étouffés, rendant le tout presque comique. Quand j'eus fini, elle s'exclama :

— Trop génial ! Moi aussi je veux me faire poursuivre par les gardes !

Je sursautai et faillis m'étouffer avec le verre d'eau que j'étais en train de boire.

— Surtout pas ! Je ne suis pas un exemple, d'accord ? Si tu te fais attraper, Jo, tu sais ce qu'il va t'arriver ? Réponds-moi, tu le sais ?

— Oui, bougonna-t-elle d'un air boudeur. On va m'envoyer dehors. Comme Jamie et comme Papa.

Je soupirai. Si mes deux sœurs étaient très matures pour leur âge, j'en oubliais souvent qu'elles n'étaient que des enfants. Des enfants qui essayaient de comprendre le monde qui les entourait. Je me levai et m'approchai d'elle pour caresser ses cheveux du bout des doigts.

— Jamie a été exécuté, oui. À cause de la garde. Parce qu'ils l'ont attrapé. Et oui, ils l'ont emmené dehors. Quant à Papa, il travaille seulement aux serres. Il fait ça pour nous, pour que nous puissions vivre. Pas pour que tu t'attires des ennuis avec la Garde.

— Mais ça le fait mourir, lança une petite voix derrière moi. C'est maman qui l'a dit.

Je me retournai en pinçant les lèvres. Sur le pas de la porte se trouvait un petit garçon de cinq ans, l'air à moitié endormi et les yeux brillants. Il tenait entre ses mains un ours en peluche recousu maintes fois et qui perdait l'un de ses yeux. Je lui fis signe d'approcher et m'accroupis devant lui.

— Tiago, tu dois arrêter d'écouter aux portes. Et oui, c'est mauvais pour papa. Mais il fait des sacrifices pour nous... pour vous. C'est parce qu'il nous aime et qu'il veut que nous soyons heureux. C'est pour ça que, en échange, il faut rester sage. Ne pas se faire remarquer. Vous comprenez ?

[Atomes]Where stories live. Discover now