7 - Lundi

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Le lundi, je ne travaillais que le matin. Je me pointais en avance, un peu après que l'équipe d'ouverture ait déverrouillé l'entrée du personnel. Des lumières fades filtraient à travers le store baissé de l'entrée du magasin, traçant une marelle crasseuse sur l'asphalte humide du parking. 

C'était décembre, et le jour paresseux tardait à venir. 

Je détestais ces journées crépusculaires et froides. La luminosité régnant à l'intérieur du Redmart m'évoquait celle d'une serre artificielle dans laquelle poussaient des plantes rachitiques et blêmes.

Engoncé dans mon blouson, je pressais le pas pour me réfugier à l'intérieur.

Le carrelage luisait, lustré par le récent passage des machines d'entretien. Une vague odeur de détergent javélisé flottait dans l'air. Un hôte de caisse m'adressa un signe avant de se pencher sur le terminal de paiement qui crachait une bande de papier discontinue – la télécollecte de la veille. Je filais au second étage, direction les vestiaires.

Quand je redescendis, quelqu'un avait eu la présence d'esprit de mettre en route le chauffage. Le Redmart ouvrait dans une bonne demi-heure. J'en profitais pour faire une tournée d'inspection de routine, afin de vérifier qu'aucun abruti n'avait pressé le bouton anti-agression derrière les caisses – cela avait pour effet de bloquer les portes coulissantes, entre autres.

Le début de matinée fut particulièrement ennuyeux. 

La clientèle du lundi était principalement composée de petits vieux venant lorgner un nouveau modèle de fauteuil ou de lave-vaisselle programmable.

Je croisais Amir au détour d'une colonne de micro-ondes combinés. Les poches mangeant son regard me parurent quelque peu atténuées. Il réussit même à me saluer d'une voix enjouée. Dans une main, il tenait une étiqueteuse Dymo et de l'autre, une épaisse liste barbouillée de références.

— Changement de prix, dit-il. Les produits prennent au moins vingt balles avant les fêtes, tu sais.

— Cynique, commentais-je.

Je le regardais travailler avec un vague intérêt. Ses yeux allant rapidement de la liste à la Dymo, Amir remplaçait les anciennes étiquettes avec une célérité incroyable. 

La tâche était répétitive et débilitante, mais il semblait apprécier. Parfois, je ne comprenais que peu ce type. Comment pouvait-on tirer une gratification quelconque de ce métier ingrat ? Pourquoi ne déléguait-il pas cette corvée à un sous-fifre ? Mystère.

— On s'est débarrassés du vieux frigo, me confia-t-il en posant le dernier papier autocollant sur la face aveugle d'un petit four Siemens.

— Tant mieux, dis-je.

— Je suis bientôt en pause, reprit Amir en froissant sa liste désormais inutile. Tu veux fumer ?

— Ouais, vas-y, acceptais-je.

Un peu d'air me ferait du bien. Je le suivis à travers le dédale du rayon petit électroménager, débouchant ensuite sur la plaine peuplée par les lave-linges et les réfrigérateurs. 

Une vendeuse du secteur, Carol, était penchée sur sa station de travail informatique en plissant des yeux. Je m'approchais pour lui dire poliment bonjour, et Amir en profita pour jeter son tas de feuilles dans la corbeille.

— Le logiciel de gestion merde encore, soupira Carol en se rejetant en arrière. Comment ça se fait qu'on bosse encore sur une version des années quatre-vingt, hein ?

Amir haussa des épaules en jetant un œil à l'écran bariolé de lignes de commandes vertes. Mercure était vraiment une antiquité.

— Appelle le service informatique, suggéra-t-il.

— Y a personne avant mercredi, râla sa collègue en ajustant sa queue de cheval blonde.

Amir ne l'écoutait plus. Les yeux arrondis par l'horreur, il fixait un point au-dessus de l'épaule de Carol.

Suivant son regard, j'étouffais moi-même une exclamation de surprise. 

Quelques mètres plus loin, incrusté entre deux frigidaires Samsung d'un anthracite mat se trouvait la monstrueuse armoire blanche marquée du sceau de General Electrics.


Frigor Mortis [Nouvelle]Where stories live. Discover now