Chapitre 6: 1800-1855

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Cette nuit-là, les deux immortels ne dormirent pas, occupés à préparer de quoi se défendre, face à des humains hargneux. Freddie avait envoyé un message, grâce à sa corneille voyageuse, à ses clients. Ils devaient s'attendre à des tentatives d'attaque et devaient rester chez eux. Elle n'avait aucune envie de voir des victimes ou des morts du côté des créatures surnaturelles. Oui, garous et vampires pouvaient tuer des humains en une fraction de seconde. Toutefois, ils ne le faisaient plus depuis bien longtemps. Eux aussi, en avaient assez du sang et des blessés à l'argent. Eux aussi rêvaient de paix et de tranquillité. Et puis... Eux aussi comptaient des enfants et des malades, des êtres plus faibles qu'il fallait protéger.

Winnifred assembla une nouvelle petite horloge, tandis que Hiroyuki les accrochait au mur.

— Freddie, tu penses vraiment qu'ils vont venir t'attaquer ici ? Chez toi ?

Elle soupira.

— Ils n'auront pas le choix. Je ne veux pas de bain de sang ou de victimes innocentes. Si je vais en ville, cela serait bien trop dangereux pour la population. En les obligeant à entrer, je m'assure de ma réussite tout en permettant la sécurité du plus grand nombre.

Le vampire esquissa un sourire. Bien que sa patronne répétât inlassablement qu'elle haïssait les mortels, elle veillait toujours de leur bien-être et était peinée d'avoir été et d'être, bien trop souvent traitée de démon. Elle lui en avait très peu parlé, mais il avait compris qu'elle avait profondément aimé son père. Son père et son humanité.

La lune déclina peu à peu, se fondant aux premières lueurs de l'aube. Contrairement à la croyance, les vampires ne brûlaient pas s'ils étaient soumis à la lumière du jour. Ils prenaient simplement d'énormes coups de soleil s'ils ne se protégeaient pas convenablement. Ainsi, Hiroyuki enfila un chapeau que lui avait confectionné Winnifred lors de l'une de ses interminables nuits sans sommeil. Il s'assura de porter des manches longues et ouvrit la porte. Par habitude, il tourna la petite pancarte sur « ouvert », bien qu'il sache que personne ne viendrait. Il balaya la discrète allée en pierre, que la sorcière s'était amusée à créer et décorer au fil des saisons. Il jeta un œil au potager, dont il devrait s'occuper dans les prochains jours. La survie de ce dernier dépendait entièrement de lui et il n'en était pas peu fier. Il se souvenait encore du regard implorant de Freddie, qui rêvait de posséder des plantes, mais qui, malheureusement, avait hérité de l'aura de sa mère. Être à moitié mortelle ne suffisait pas pour éviter de faire faner toute la nature dont elle avait tenté désespérément de s'occuper. Il poursuivit son ménage quotidien, lorsqu'il entendit des voix au loin. La stupidité humaine n'avait vraiment aucune limite. Il pénétra dans la maison et alla chercher son maître dans l'atelier.

— Freddie, ils arrivent.

Dans un profond soupir de lassitude, elle posa ses outils et ôta ses gants.

— Hiro, je te charge de surveiller mon travail. Ne permets à personne d'entrer.

— À tes ordres !

Ses iris dorés luisants d'un éclat menaçant, elle ferma la porte. Le vampire savait qu'elle le laissait là pour le protéger. Il aurait pu l'aider, bien entendu, et massacrer cette vermine. Toutefois, elle refusait qu'il entache son esprit de meurtre et de sang. Alors, il obéissait et demeurait ici, attendant la fin de la bataille. À dire vrai, cela ne le dérangeait guère. Hiroyuki n'avait jamais eu l'âme d'un combattant ni le courage d'un tueur. Il aimait les livres et la science. La violence l'effrayait. Toutefois, pour celle qui l'avait sauvé, il aurait été capable de remettre en cause toutes ses convictions si elle le lui avait demandé. Pour celle avec qui il vivait depuis près de dix-sept années, il serait prêt à bien des sacrifices. Pour celle qui lui avait offert tendresse et bienveillance, il pourrait faire couler le sang. Mais Winnifred ne l'avait pas fait. Parce qu'elle tenait trop à lui pour ça.

Le Temps dans ses yeuxWhere stories live. Discover now