Genèse

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La routine quotidienne. Voici le point de départ de cette histoire. Je suis prise dans un train-train infernal, ancrée dans ma vie de citadine névrosée. Chaque matinée constitue un rituel précis, bien rôdé, qui m'est pourtant indispensable. Je me réveille, longuement. Je lance un café. La cuisinière se trouve à un demi pas de mon lit. Car oui, je vis dans un appartement si petit que ma tête dort quasiment sur la cuisinière. Le temps que la cafetière chauffe et fasse son boulot, je replonge dans mon lit, me glisse sous la couette, attrape le téléphone, ouvre Instagram, et c'est parti.

Je fais défiler devant mes yeux des dizaines et des dizaines d'images. Je quitte le monde réel, et ce dès les premières minutes de ma journée, pour le monde virtuel. Je me laisse engloutir par les algorithmes qui me connaissent mieux que n'importe qui. Je me plonge, j'habite la vie d'autres personnes, je vis au milieu de paysages splendides, loin du tumulte des villes. Au coeur de la nature, seule. Dans des forêts majestueuses et flamboyantes, au sein de décors grandioses, au bord de lacs profonds, à l'affleurement de montagnes imposantes. Je pénètre ces images comme si j'avais le pouvoir de les habiter, le pouvoir de me propulser dans ces endroits rêvés et irréels.

Le grondement de la cafetière m'extirpe de ma rêverie pour me ramener à la réalité. Je passe au PC et scrute mes abonnements Youtube, à la recherche de nouvelles vidéos des fameuses "influençeuses". Chez moi, elles portent toutes des chemises de bûcheron sur des leggings, des grosses chaussettes moelleuses et des chaussures de rando. Plus fascinant encore, elles ont toutes une tasse de café fumant constamment greffée à la main. Elles passent la majeure partie de leur temps à filmer leur vie parfaite, dans leur maison parfaite, dans un cadre tout aussi parfait. Elles font des feux de cheminée, des feux dans le jardin, des feux au bord du lac, devant lesquels elle lisent des bibliothèques entières. En parallèle, elles tiennent un journal, dont le contenu, au vu de leurs activités, semble mystérieux. Et pourtant, sans trop savoir pourquoi, je leur voue un véritable culte. L'appel de la nature, de la solitude, de la lecture, du silence, et du feu? Oh oui, le silence, sans le moindre individu à des kilomètres à la ronde. L'isolement total, absolu.

Ce projet, j'en rêve depuis des années, je le prépare et il est sur le point d'aboutir. Dans quelques jours, je quitte tout. Tout ce tumulte, tout ce bazar, pour partir, avec le minimum syndical. Partir, à la conquête d'un mode de vie ancestral, brut, en quête de mon propre bonheur.

J'ai réussi à me dénicher une cabane, perdue au fin fond d'une forêt écossaise, à des kilomètres de toute civilisation. Si isolée que presque inatteignable. Planquée derrière des lochs et des collines verdoyantes, au sortir d'une forêt impénétrable. En effet, arrivée à sa lisière, il faut encore deux jours de marche pour trouver le petit refuge de randonneurs depuis longtemps inoccupé. Et c'est ici que ma nouvelle vie va commencer.

43 jours et demi plus tard, bonjour, routine.

Chaque matin, j'allume un feu dans le poêle à bois, où je fais chauffer mon café. Ces petits gestes sont exactement ce pourquoi je suis ici. Ce sont mes petits bonheurs tout au long de la journée. Le crépitement du feu, les craquements métalliques de la cafetière, l'odeur du café mélangé à celui du bois qui se consume. Je retourne dans mon lit. Oui, on pourrait y voir un air de déjà vu, à la différence que maintenant je n'ai plus besoin de mon téléphone pour m'évader. Le paradis est là, il s'étend devant moi, derrière cette petite fenêtre, où viennent s'écraser de joyeuses gouttes de pluie matinales.

Je souris, une agréable plénitude m'emplit, plus aucun nuage n'entache mon esprit. Je remplis ma tasse, enfin le prolongement de ma main, et comme ces filles que j'ai longtemps admiré, je me couvre d'une épaisse couverture de laine et je sors sous mon petit porche. Je savoure le puissant calme qui règne. Je ne vois rien d'humain, ni moteur au loin, ni trace d'un avion dans le ciel, ni aucune présence humaine. Je suis seule, absolument seule. J'écoute la nature qui s'exprime : les chants d'oiseaux, le vent dans les feuilles, la pluie sur le toit, le clapotement de l'eau contre la rive, les mouvements de la barque accrochée au ponton. Je prends une profonde inspiration, j'inhale le parfum de la pluie sur l'herbe, des cèdres, des sapins et des champignons.

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⏰ Last updated: Nov 10, 2019 ⏰

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