Chapitre 1

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Ce qui était le plus familier pour Katya, dans sa maison, c'était son odeur. Un parfum de javel et de poussière tenace, l'odeur typique des vieilles maisons de Salem. Il y avait toujours un bouquet de fleur sauvages à côté du vieux téléphone. Sa mère adorait les fleurs, mais sa famille était trop pauvre pour qu'elle puisse en acheter chez le seul fleuriste de la ville. Katya et son frère parcouraient alors les champs chaque semaines pour lui cueillir un bouquet. La vie était chère, mais ils s'en sortaient bien. Le travail de Katya permettait de subvenir à leurs besoins. Son père étant mort, elle le remplaçait comme couvreur. Un métier dangereux, mais qui payait plutôt bien. Sa mère travaillait de temps en temps comme couturière ou femme de ménage, tandis que son frère allait à l'école.

Le frère de Katya, Nathanel, avait les cheveux châtains de sa mère et les yeux gris de son père. Il était gentil et sincère. Katya était l'opposé de son frère, terrifiante par son allure et ses habitudes aux yeux des autres adolescents. Elle aurait pourtant aimé, au fond d'elle, recevoir autant d'attention que son frère.


***


Quand Katya se réveilla, elle se sentit nauséeuse. Elle ne savait pas combien de temps elle fût inconsciente. Elle était allongée sur un dallage en pierre. Le souffle court, elle se retint de vomir. Elle avait froid et son corps la faisait souffrir, au moins elle était entière. La principale source de sa douleur était son cou. Elle bascula doucement sur le côté et se mit à quatre-pattes, sa tête tournait. Elle toussa une fois, puis deux, la toux lui rappelant à chaque fois sa nausée et sa douleur. Il pleuvait légèrement, à faibles gouttes. Elle rampa jusqu'à une flaque d'eau et regarda son reflet. Elle avait les cheveux gras et le visage couvert de crasse. Elle remarqua quelque chose qu'elle n'avait pas avant et porta sa main dans le creux de son cou. La douleur se fit plus intense et elle grimaça. Une tâche noirâtre était apparue, un chiffre tatoué : 516. Le picotement se faisait plus vif à mesure qu'elle le touchait. Il était rouge et boursouflé, donc récent.

Elle se mit debout et regarde autour d'elle. D'autres personnes, des centaines, parcouraient les dalles sombres. Tout comme elle, ils portaient un tatouage sur leur cou. Katya porta les mains à sa tête, la migraine ne voulait pas partir. Son regard fût soudain attirer sur les immenses murs qui la tenaient prisonnière. Ils étaient gigantesques, sombres, finement taillés. Des hommes armés et des canons étaient disposés au sommet des rempart.

Katya avait un mauvais pressentiment. Elle tournait sur elle-même, inspectait chaque recoin de ces murs. Des soldats étaient placés au sommet. Il n'y avait aucune portes, seulement quelques trappes, gardées elles aussi et qui menaient sous terre, sans garantie qu'elles pouvaient mener à l'extérieur. Ils étaient tous enfermés. Les questions affluaient dans sa tête : Où ? Quand ? Comment ? Qui ? Mais elle n'avait aucune réponse.

Son sang ne fît qu'un tour. Katya fût soudainement prise de panique. Elle ne voyait ni son frère, ni sa mère. Elle courut le long des murs de l'immense édifice, en hurlants leurs prénoms. Ils étaient introuvables. Elle tournait sur elle-même, tenant sa tête dans le creux de ses mains. Elle était sur le point de lâcher prise, de crier, hurler, faire exploser son cœur.

- « Katya ? »

Elle se tourna et aperçu un jeune garçon, dont le visage était aussi doux que la voix. Lui aussi était sale, mais pas blessé. Katya prit son frère dans ses bras. Nathanel était son jumeau, son âme-sœur. Elle l'aimait plus que tout au monde. Nathanel était né après elle, il était un peu plus petit et très mince. Il avait toujours été un enfant fragile. Ses cheveux châtains débordaient sur son front, sa sœur les repoussait en arrière et posa son front sur le sien. De cette manière, elle pouvait voir ses prunelles grises, prunelles dans lesquelles elle se noierait volontiers tant elle l'aimait.

- « Où est maman ? » Demanda la jeune femme.

- « Elle est là-bas. »

Nathanel montra du doigt un groupe de femmes et d'enfants. Le soulagement envahit Katya et elle souffla longuement. Elle parvint à retrouver un souffle normal au bout de quelques instants. Elle accourut ensuite vers sa mère, tenant son frère par la main. Elle avait décidé de ne plus le lâcher, pas tant qu'ils seraient ici. La mère enlaça sa progéniture, elle aussi, visiblement soulagée qu'ils ne firent pas séparés. Après tout, c'est cela le plus important pour une mère, peu importait le lieu tant qu'ils étaient ensemble.

Cependant, il était impossible pour Katya d'ignorer cet endroit. Elle se demandait sans cesse quels étaient ces murs et pourquoi ils étaient ici.

Soudainement, une voix se fit entendre, comme sortie du ciel : « Le sacrifice va être prononcé ». Une suite de nombre a suivi l'annonce. Katya se les remémorait : 507, 203 et 1024. Un flot de soldats sortirent des trappes menant au sous-sol. Ils s'emparaient de trois personnes. Sur leurs cous, on pouvait lire les trois nombres énumérés. Ils furent emmenés au centre de l'édifice, un bruit sourd se fît entendre et le sol s'ouvrit en deux. A la place un cercle de pierre remontait des entrailles de la terre. Les victimes furent placé au centre de cette drôle d'estrade. Ces pierres étaient énormes. Katya se souvint d'un coup qu'elle avait déjà vu ces rochers auparavant dans un livre. Il s'agissait d'un site religieux vieux de plusieurs millénaires dont personne n'avait découvert les origines : Stonehenge. Comment avait-elle pu voyager des Etats-Unis jusqu'en Angleterre sans le remarquer ?

Les soldats forcèrent les condamnés à se mettre à genoux, ces derniers les suppliants de ne pas leur faire de mal. Les bourreaux sortirent trois pistolets. Les pauvres victimes, deux adolescents et un homme d'âge mûr, crièrent de leur laisser la vie sauve, implorant Dieu de les secourir. Mais si un dieu existait vraiment, il avait abandonné ses brebis. Le canon des armes étaient braquées sur leurs tempes. Katya attrapa son frère à la hâte et lui couvrit les yeux, tombant tous les deux en arrière. Le coup de feu retentit. Katya fût de nouveau prise de nausée et s'éloigna, son frère sur ses talons. Elle s'arrêta et vomi le peu de bile qu'elle avait dans l'estomac.

Ce n'était pas que quelques brebis que Dieu avait décidé d'abandonner. C'était tout un troupeau. 

La MurailleWhere stories live. Discover now