Cécilia

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D'abord, il y avait une plaine. Une grande, avec des collines, de celles qui n'ont pas de fin. Ensuite il y avait les arbres. Enfin seulement deux, chacun à côté d'elle. Et elle, c'était Cécilia. Si on avait pu lui poser la question, elle aurait répondu qu'elle avait toujours été là.

Puis soudain une bourrasque et son chapeau s'envole. Elle esquisse un geste, mais se retient au dernier moment. Elle se sent comme une actrice pendant une scène mélancolique. Une fille du cinéma, voilà ce qu'elle aurait voulu être. Là les bras tendus, les cheveux au vent tandis que son chapeau s'éloigne, elle pouvait presque entendre la musique de fond. Ce serait une musique douce, mais belle. Arabesque n°1, sûrement. Non pas qu'elle s'y connaisse en musique classique mais les morceaux de Debussy lui convenaient bien.

Elle imagina la caméra tourner autour d'elle, suivre les mouvements du chapeau pour revenir encore une fois sur son visage. Là, les spectateurs auraient spéculé que la perte de son couvre-chef symbolisait la perte de son amour plus tôt dans le film. Et elle aurait pleuré. Si elle avait été une star de cinéma, elle aurait su pleurer, faire comme les grandes comédiennes, être bouleversante. A cet instant l'émotion sur son visage aurait ému les spectateurs, et peut-être auraient-ils pleuré. Pourtant, tandis que son chapeau ne cessait de danser, aucune larme ne perlait de ses jolis yeux verts.

Du vert ! Dieu qu'il y avait du vert. Beaucoup trop à son avis. Du vert dans les plaines, du vert dans les arbres... heureusement que le ciel nuançait ces couleurs ! Comment avait-il finit par y en avoir autant ? Jusque dans les yeux de cette femme, là, qu'il fixait depuis un moment. D'ailleurs, il n'arrivait pas à détourner ses yeux d'elle, petite tâche crépusculaire au milieu des collines. Damien avait l'impression à force de la regarder qu'elle se tournerait vers lui un jour, pour le voir, enfin. Elle ne se tournait jamais, pourtant, et il se sentait stupide. Il observait cette fille de la campagne, ses cheveux fouettés par le vent, tendant le bras dans un effort vain de rattraper ce fichu chapeau.

Ce chapeau, il ne l'aimait pas. Après tout, c'était une idée de Christine : "Tant que tu as du temps à perdre, tu pourrais au moins lui faire un chapeau. Normalement avec tout ce soleil sa peau serait d'une autre couleur, et pour une jeune fille les coups de soleil c'est bien laid ! Fais-lui un chapeau". Mais c'était son chapeau qui était bien laid. Il l'avait fait grand, rond, s'était amusé avec les détails... Maintenant qu'il le voyait s'envoler, il aurait préféré le repeindre en vert comme le reste.

A force de tenir dans cette position, n'importe qui aurait eu mal, mais pas Cécilia. Elle aimait cette position et ne souhaitait plus en bouger : sentir le vent contre sa peau, essayer de pleurer et écouter l'arabesque dans sa tête, voilà comment elle se sentait le mieux. Damien l'aurait bien expliqué à son ami, mais Henri n'aimait pas Cécilia. Surtout parce qu'elle était rousse. Mais il aimait bien le vert, c'est pour ça qu'il y en avait autant.

_ C'est fou, dit Henri, on dirait qu'elle est vivante !

_ Oh, tu sais...fit-il en haussant les épaules, feignant une nonchalance qu'il n'avait pas. Cen'est qu'un tableau.

CéciliaWhere stories live. Discover now