Chapitre 31

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La nuit régnait en maîtresse incontestée sur le campement lorsque Tybalt s'était échappé au confort de son lit. Il n'avait pas pris la peine de se dévêtir et se noyait désormais dans la mer de tentes dont la houle léchait ses pieds.

Le vent était frais, le calme qui régnait se voyait à peine interrompu par quelques insectes nocturnes. La nuit refusait de laisser les âmes en paix et comme grisé par la vision de son astre, Tybalt n'avait pas pu trouver le sommeil. La pâleur laiteuse, malsaine, de la lune n'avait à ses yeux rien de reposant. D'aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours associé à celle-ci quelque chose de profondément dérangeant, comme si la nuit voyait véritablement un œil braqué sur lui pour suivre le moindre de ses gestes. La sensation était, ce soir-là, décuplée.

Il chavirait entre la haine pure, aveugle, et égarement, un doute atroce qui

Jusqu'alors, seule Nausicaa lui avait permis de s'arracher de cette emprise malsaine. Elle ne le savait sans doute pas, mais à certains égards, elle avait sauvé ce qu'il y avait de meilleur en lui. En lui prouvant qu'il pouvait être quelqu'un de bon, quelqu'un qui n'existait pas uniquement à travers les actes de sa génitrice. Il avait cru que vivre ainsi, que se détacher d'elle, était envisageable. Il avait pensé pouvoir accomplir un tel prodige, mais c'était sans compter sur l'ironie du destin, ou son sens de l'humour pour le moins déplorable.

Il y avait d'abord eu la mort de Soann, le premier père qu'il eut jamais eu, mais qui ne méritait sans doute pas ce titre, puis le couronnement de Lyssandre et la rage sourde, viscérale, de sa mère qui y voyait un affront. Elle aurait voulu que son époux déshérite son benjamin du trône, il n'en avait rien fait. Enfin, il y avait eu Halev. Halev et Romie.

Le coup de grâce.

Tybalt s'humecta les lèvres. Pourquoi étaient-elles humides alors que le ciel était pur ?

Il déambula encore, ressassa les fondements de sa haine, de sa douleur, de cette inconsistance qu'il partageait, à la réflexion, avec son demi-frère. Il perdait de vue l'espoir de s'en tirer, le mince espoir d'être heureux, et en acceptant l'ordre d'Elénaure, en se pliant à sa sombre volonté, il avait rayé à jamais cette mention de son avenir.

Il eut un sourire.

Un sourire saturé d'ironie qui lui fendit le cœur. Qu'avait-il fait à la destinée pour qu'elle s'acharne ainsi ? C'était curieux, parce que Lyssandre partageait sans doute la même pensée. Le même désespoir et seule la vengeance, cette projection méthodique, qui nécessité une lâcheté plus grande que la possibilité évoquée par la raison, les distinguait.

La vengeance et l'ombre qu'une femme qui l'amènerait à se damner, condamné.

Tybalt s'immobilisa et ses pas silencieux cessèrent d'écraser l'herbe tendre. Il distinguait, à la frontière du campement là où il s'était aventuré un peu plus loin que celui-ci, deux silhouettes. Il y reconnut d'abord Lyssandre, révélé par l'éclat traître de la lune, puis le corps plus massif du chevalier. Ceux-ci, absorbés par leur conversation, observaient une proximité inhabituelle.

Tybalt ne comprit qu'au terme d'un long moment. Ces regards longs regards échangés, cette alchimie qui crevait les yeux et que personne n'avait identifié à la Cour, s'épanouissaient à l'abri des regards. Ce à quoi il assistait, sans que rien ne laisse véritablement suggérer quoi que ce soit, c'était le langage informulé de deux hommes amoureux.

Le souffle coupé, Tybalt accusa le coup. Il détenait une information susceptible d'entraîner Lyssandre dans la déchéance. Une telle rumeur répandue à la Cour, c'était la garantie du déshonneur. Pourtant, une part de lui en était presque déçue. Il aurait préféré un péché plus ignoble que celui-ci et s'il restait intimement persuadé que ce secret, ce que la noblesse jugerait comme une tare, n'était pas le seul travers du roi, son imagination avait construit de pires possibilités.

Longue vie au roi [BxB]Where stories live. Discover now