à fleur d'âme

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il dormait paisiblement,sous quelques regards sensibles

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il dormait paisiblement,
sous quelques regards sensibles. une petite dizaine de personnes était penchée vers son corps endormi, à passer chacun de ses détails au peigne fin comme pour garde un dernier souvenir placide de lui. tout à gauche, au niveau de sa tête soutenue par un oreiller blanc, nous avions Annie. Annie le connaissait bien, très bien même, puisqu'il était le fruit de sa création. ses yeux étaient recouverts d'un film d'eau. elle tentait de retenir ses larmes, un peu comme Roland. son père. il pouvait être exigeant, parfois très peu indulgent, l'exact opposé de ce qu'on appellerait un père aimant, mais nul ne pouvait nier son amour pour son enfant, la chair de sa chair ; ses mots d'amour avaient toujours été masqués d'une autorité sans faille, et ses ordres étaient ce qu'à un père sans bipolarité seraient des conseils de vie. il l'aimait, il n'y avait pas de doute. mais jamais avait-il eu la chance et le plaisir de découvrir son amour de ce film amer qui le poursuivait depuis bien des années. il y avait aussi Judith et Marie, ou les jumelles de l'enfer. leurs longs cheveux blonds tombaient en cascade sur son buste recouvert d'une simple chemise. leur regard était dénué d'émotions. la malice qui habituellement froissait les plis de leur visage n'était plus. ce n'était pas pour autant qu'elles suintaient la tristesse ou la peine ; à vrai dire, leur absence de sentiments était déjà assez parlant. tout le contraire de Fanny, à leur droite. Fanny était charitable. elle aimait préparer de bons plats aux repas de famille, gâter les enfants, aider les plus vieux. elle était cette tante que les bambins rêvaient d'avoir, cette sœur dévouée, une mère aimante. alors, sans surprise, elle pleurait. à ses pieds, une montagne de mouchoirs usagés. elle n'était pourtant pas la seule à rythmer le silence de la pièce : il y avait aussi Hercule. il ne ressemblait en rien à la légende, à vrai dire, il était son opposé. ni vaillant, ni courageux, ni musclé jusqu'aux os, mais on ne pouvait lui retirer sa sensibilité et sa bonté qui lui valaient des bons mots, à droite, à gauche. sa sœur se tenait près de lui. son visage était impassible. ce n'était pas qu'elle l'avait détesté, ou qu'elle ne l'avait pas connu ; bien au contraire, ils s'étaient aimés, si fort qu'ils avaient fini par se déchirer. elle pouvait remuer ciel et terre pour lui, s'abandonner à ses désirs, lui donner son âme, mais il était trop tard. elle peinait à réaliser. alors elle restait plantée, là, à ses pieds, à l'image d'un mort-vivant, à l'observer, à essayer de comprendre. puis il y avait Armand et Jules. il n'y avait plus reconnaissant qu'eux. il les avait aidé, s'était battu pour eux, perdu du sang, des amis, des chances pour eux, pour enfin que leur bonheur leur soit accordé – et ses vœux furent exaucés : sa bataille avait mené à la naissance de ce couple, aujourd'hui solide et plus que tout, accepté. on leur souhaitait tout l'amour du monde, on leur accordait bénédiction et chance, mais ce qu'ils voulaient, eux, c'est qu'il soit là. assise sur une chaise assez haute pour donner une vue plongeante sur son corps, Nalia. elle était effondrée, son regard vissé sur le cœur qui battait autrefois aux joies du monde. comment ? pourquoi ? ce ne pouvait pas être vrai, ce ne devait pas être vrai : les meilleurs doivent rester le plus longtemps. Nalia n'avait pas mangé, ni bu depuis deux jours. elle sentait son corps s'affaiblir, alors que son cœur se gonflait, lui, d'une haine sans pareille. d'une peine, aussi. il lui avait appris à aimer, il avait joué son rôle à la perfection, quand ses paternels ne pouvaient pas. à toutes ces personnes, aussi brisées que belles, selon lui, jamais, ô grand jamais, il n'aurait demandé, rien que laisser paraître dans son regard, une réponse à ses faveurs. il avait toujours donné sans compter, il protégeait les siens. son regard suait le bonheur. c'était un soldat, mais pas un Dieu. il n'était pas éternel, au désespoir de plus d'un. vingt-six années passées au service du bonheur, du sourire et du bien-être des autres. il avait été si doué dans ce rôle qu'on ne lui soupçonnait jamais un brin de mal-être. pourtant, ce n'était pas ce qui manquait. son sourire franc masquait ses malheurs. c'était un soldat tombé au bataillon. un bataillon spécial, pour un soldat spécial. mon regard se déposa sur ses traits paisibles. je souris. ce n'était qu'une enveloppe corporelle, mais Dieu que je l'aimais. elle m'avait abrité vingt-six longs printemps, et je l'en remerciais. elle m'avait fait connaître l'amour, le plaisir, les peines, la déception, l'envie... mais je devais désormais m'en détacher. tous ces souvenirs étaient gravés, inscrits, imprégnés dans mon cœur. ils étaient la plus belle chose, la plus précieuse. j'allais en pleurer, en rire, en pleurer de rire. et tout ça, je ne pouvais le faire sans un adieu conforme avant. alors, je me rapprochai de cette poignée de personnes encerclant ce corps autrefois portes de mon âme.

« je vous remercie pour tous ces moments, ces joies partagées autour de repas de famille ou ces voyages aux quatre coins du monde. je m'en vais désormais voyager de mon côté ; rejoignez-moi quand vous serez prêts, mais pas avant. je vous aime, et à bientôt, je l'espère, pour une nouvelle aventure dans de nouveaux horizons. »

mon regard s'orienta vers la fenêtre. les astres transperçaient les cieux, ils semblaient crier mon nom, appeler à la plus tendre accolade. un dernier regard par-dessus mon épaule, et je quittai, non sans faire virevolter les cheveux des cœurs brisés derrière moi, la pièce embuée d'une lueur de tristesse. les étoiles brillaient pour moi. c'était un tableau magnifique. je souris. il n'était plus question que de souvenirs et de mon âme vagabonde, à la recherche d'autres âmes vagabondes.

𝒂̀ 𝒇𝒍𝒆𝒖𝒓 𝒅'𝒂̂𝒎𝒆
– VERD'ÂME

verd'âmeWhere stories live. Discover now