Le deuxième jour

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Le deuxième jour, c'est ce jour où une douce envie de pleurer habite ma journée, pas après pas, pour me rappeler que mon corps est connecté à mon cœur. Elle est douce, parce qu'elle me rappelle à la vie, encore et encore, et me montre que j'existe. Oui ! J'ai aimé. Oui ! J'aime encore. Oui ! J'aimerais sans doute à nouveau, malgré tout, je le crois. J'ai parfois arrêté d'espérer, ce renouveau de l'âme et du cœur, je me suis sentie de nombreuses fois meurtrie et vidée. Les degrés varient, certes, davantage selon l'âge et les épreuves passées que par rapport à l'amour porté à l'autre. Enfin, je pense... J'ai eu souvent mal de ces ruptures. J'ai eu tout le temps mal en fait. Cette douleur qui , comme je le disais, habite le corps, fait ressentir physiquement ce cœur qui devient pénible à supporter, cette oppression qui enserre le buste et qui obstrue la respiration d'habitude si fluide et inconsciente, cette chaleur qui monte au visage quand le reste du corps est toujours froid, cette énergie qui n'est plus, ce poids du corps qui devient insoutenable, cette envie de dormir, de ne plus réfléchir. La tête, le corps, le cœur. Tout est relié. Tout est interconnecté. Et à quel autre moment peut-on prendre conscience de cela hormis lors d'un orgasme ? Une rupture, c'est finalement l'essence de la vie qui nous revient de plein fouet, qui nous gifle comme une enfant humiliée qu'il faut réveiller, c'est devoir se retrouver, se supporter dans ces conditions de détérioration de l'être, c'est vivre pour soi et par soi, enfin. Et ça fait fichtrement mal !

La vie est faite, pour certains d'entre nous, d'une suite d'événements malheureux et heureux, tous ressentis au plus profond de nos êtres, tous blessants, même lorsqu'ils sont heureux. Ce sont d'ailleurs peut être ces moments heureux qui laissent les plus grandes cicatrices, puisqu'ils ne revivent jamais... et laissent place à une béance nostalgique, un manque acerbe qui griffonne, chiffonne, déchire le cœur. Encore et encore. Et le vide est un ami auquel il faut s'habituer... Oh bien sûr, ces temps- ci, la mode veut d'apprendre à vivre seule et à apprécier cette solitude. Moults articles nous abreuvent de ce concept d'auto-suffisance sentimentale, tout en insistant sur ce fait qu'il faille être bien avec soi- même pour pouvoir trouver un Autre. Sacré paradoxe ! « Non je n'ai besoin de personne pour pouvoir rencontrer quelqu'un ! ». J'ai lu énormément d'écrits, de livres, d'articles à ce propos. Aimer sa solitude, oublier son passé, apprendre à lâcher prise. Tant d'injonctions au bonheur et à la liberté qui conditionnent finalement une oppression toute contemporaine...

La vie, l'amour, heureusement, ne se résument pas à des sommations publiques, qu'on lira dans des temps fragilisés. Sommations qui pourtant pourront avoir cet effet positif, le temps de la lecture, venant principalement de l'initiative elle- même de ce type de lectures : une démarche de prise de recul et de besoin d'avancer en même temps.

J'ai donc lu. Beaucoup lu. J'ai fait des tests, des cahiers d'exercices, des cahiers d'écriture thérapeutique. Chacun me laissait encore dans cette introspection qui me mine, mais me permettrait de l'extérioriser. Pourtant, combler le manque d'un Autre par ce type d'activités ne tient qu'un temps. Et la vie, le bonheur tiennent à beaucoup de choses... comme le dit Françoise Héritier, c'est le sel de la vie.

Ce sel, il faut le multiplier, l'ajouter, parce qu'il se dissout. Encore et encore, il faut recommencer, ces actes, ces moments, et y croire. Le rire d'une personne chère, la promenade au bord d'un champ sous le soleil tombant, la promesse de moments ensemble, la cuisine les après midis d'hiver avec les enfants, le message reçu inopinément par un ami ou un amant, la sieste au milieu de ceux qu'on aime, la nuit d'amour étonnante et pleine de promesses. Tant d'instants que j'aimerais ancrer dans mon être à perpétuité mais qui, à peine passés, ont vocation à ne plus exister. C'est à se demander s'ils ont vraiment existé d'ailleurs ! Voilà tout le drame de notre époque : vouloir ancrer dans la permanence ces moments qu'on a peur d'oublier. Comme un concert de Louane où des fans passent la soirée à filmer, sans jamais profiter de l'instant, la regarder de leurs yeux. Cette peur de l'après.

- « et après le concert, comment est la vie ?

- fade et insipide »
Voilà ce qui doit faire peur !

Une rupture, c'est alors la fin d'une histoire sans ce côté insipide et fade. Et c'est un miracle en ce sens ! Encore un amoncellement de sentiments transverses, encore des émotions, des sensations. Encore du rêve. Le rêve d'un message, le rêve d'un rendez- vous, le rêve d'une autre nuit d'amour. Le rêve d'un futur ensemble, avec l'être aimé, où ce qui vient d'arriver était finalement une grossière erreur...

J'ai pu constater depuis quelques petites années que ce n'est pas la durée qui fait la relation, mais le cœur qu'on y met. Et le cœur, j'en mets beaucoup et à chaque fois. Cette fois, Loïc, puisque c'est son prénom, me laisse un manque dont je ne me souvenais plus. Est-ce l'amour ? Oh mais non, gente dame ! L'amour ne se construit pas en si peu de temps ! J'aimerais être convaincue de cela. J'aimerais me persuader enfin qu'il s'agit ici, encore et encore, d'une dépendance affective, d'une peur de la solitude, d'un emballement. J'aimerais. Et je ne me dis pas que je l'aime. Je ne me le dis pas du tout. Mais aujourd'hui, en ce deuxième jour, un jour de réveillon de Noël, j'ai envie d'entendre son rire. Ce rire que j'entendais si souvent, alors qu'on se voyait peu. Le bonheur des coups de téléphone est finalement assez simple : aux messages textos, il préférait les appels téléphoniques, j'ai toujours eu horreur de ça. Prête à quelques concessions, je me suis pliée à son rite et à son rythme, pour répondre de longs moments au téléphone. En restent gravés ses rires.

J'aurais aimé lui dire cette phrase attribuée à Tommaso Ferrari : « je me disais que pour le séduire, je devais le faire rire. Mais à chaque fois qu'il riait, c'est moi qui tombais amoureuse ». J'aimerais lui dire et lui écrire. J'aimerais lui crier.

Lui, c'est l'homme qui vient de rompre avec moi. Lui, c'est cette rencontre improbable, qui m'a fait oublier qu'il était en couple. Un détail pour cette femme que je suis, construite sur la droiture et l'honnêteté, mais assez ouverte. Un détail qu'il aurait fallu faire partir au plus vite. Parce que sans vouloir m'immiscer dans cette histoire, mon impatience toute ibère se révélait intransigeante et ne me laissait pas d'autre chose qu'attendre vite une exclusivité que ma raison sait pourtant inutile. Je voulais plus, je voulais un conte de fée. Encore une fois, je ne l'ai pas eu, au profit d'une autre. Au profit d'une absence de décision qui, en fait, est une prise de décision. Au profit d'une zone de confort que l'intérêt qu'il me portait n'a pas suffi à déplacer. J'aurais aimé être sa zone de confort, être son ancre, être celle qu'il se voit prendre ses bras lorsqu'il est fatigué ou énervé, être, encore et encore, celle qui le fait rire. Dans la pérennité.

Un jour, lors de ma précédente relation, on m'avait dit « j'espère ne pas être un épiphénomène dans ta vie »... J'avais du chercher la définition. J'étais emballée, l'espace de trois semaines, par une relation extrêmement enrichissante mais par trop équilibrée. Lorsqu'on se ressemble trop, avancer devient compliqué. Aujourd'hui, je suis l'épiphénomène dans la vie de Loïc. J'ai été celle qui a pimenté sa vie, l'espace d'un instant, le temps d'une rose, et de tout ce que vous voulez, pourvu que ça ne soit pas trop long. Je suis le phénomène accessoire dans sa vie de couple, sur laquelle je n'ai eu aucune influence, le phénomène de son existence, sur laquelle je n'ai eu aucune influence.

L'amour se raccroche à nos conditionnements, les miens sont négatifs. J'ai mis des années avant d'avoir une relation secure avec mon mari, la rupture a fait suite. Avec Loïc, je me sentais en sécurité quand j'étais avec lui, à ses côtés. Sa façon de me parler, d'interagir avec moi, ses calins lors de notre rencontre. Tout cela a contribué à un attachement profond ET secure.

Il faut dire que ce premier soir, le soir du bisou, a été déconcertant pour moi, tant il m'a serrée dans ses bras. Tant il m'a gardée dans ses bras, soupirant. Pas d'empressement sexuel, pas de distance, mais ce lien entre nous, cette envie d'être l'un contre l'autre, ou l'illusion.

Le deuxième jour.Where stories live. Discover now