Chapitre 2

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Tout ira bien.

Tout ira... 

...bien.

C'est ce que je faisais tourner en boucle dans ma tête, tel un disque rayé. Plus ça va et plus la phrase sonne fausse. Comme si tout allait mal se passer. Peut-être que c'est mon côté angoissé de la vie qui me bourre le crâne de ces scénarios sans queue ni tête, où tout le mal peut se réaliser. Après tout, avec la chance que j'ai, je vais trébucher dès que je vais me lever. Ou alors, quand je vais vouloir marcher, je ne vais pas réussir et je vais me taper la honte, ou pire encore, j'aurais un truc sur la fesse et...

— Mademoiselle Kim Ji-yeon, me nomme la secrétaire sans lever les yeux de son écran.

— C'est moi ! Je m'écrie en me redressant d'un coup.

J'attire malgré moi tous les regards sur ma pauvre personne. Je les regarde tous, dans un sourire pincé, afin de m'excuser par-ci et là en croisant le regard de ceux que j'avais dérangés. Cette salle d'attente est aussi terrifiante que celle de mon dentiste fétichiste des ongles. À cette pensée, mon visage se déforme amèrement pendant que mon corps frémit de dégoût, visiblement visible à mon expression puisque je sens des regards réprobateurs. Je ne me sens vraiment pas bien ici, ce monde semble être un autre.

Je me lève de ma chaise, prenant le soin d'effacer les plis de ma jupe, mais surtout de retirer ce qui pourrait être dessus sans que je le sache. J'ai fait l'effort de porter un tailleur, volé à ma mère, mais ça reste un effort. Je m'approche du bureau, les jambes flageolantes, pour me présenter. Quelle magnifique idée j'ai eu de mettre des talons alors que je ne sais même pas marcher avec. Déjà que je n'avais pas confiance en moi, maintenant tout le monde peut le voir grâce à ma dégaine de fragile.

Je pose les yeux sur la secrétaire, une belle jeune femme à la peau métisse. Son teint doré et ses cheveux noirs soigneusement attachés en une queue de cheval basse accentuent son apparence professionnelle. Elle a l'air toute gentille et bien trop innocente pour travailler dans une entreprise si intransigeante. Sérieusement, on dirait un cimetière avec ce silence de mort et leurs têtes de morts-vivants affamés. Oh, j'espère vraiment que je ne vais pas finir comme eux, le monde du travail de luxe a l'air si terrible. Elle tape énergiquement sur son clavier, sans jamais le regarder, ses yeux marrons perçants fixés sur son écran. Je ne sais pas ce qu'elle a à faire, mais cela doit être important pour ne pas me donner un peu d'attention.

— Je suis là pour mon stage... je dis tout bas en me penchant légèrement sur son bureau.

Son manque d'intérêt me tape légèrement sur le système, c'est elle qui m'a appelée, alors pourquoi est-ce qu'elle semble faire comme si de rien n'était. Je réprime ma grimace dans un sourire forcé qui se veut vraiment, je le jure, sympathique. J'attends une consigne, des indications pour savoir ce que je dois faire, ou où je dois aller pour poursuivre mon aventure, qui visiblement ne commence pas bien. Mais pour le moment, je n'ai même pas un signe. J'aurais pu croire que je m'étais trompée d'endroit.

— Juste un instant s'il vous plaît, me répond-elle après un moment, levant enfin les yeux pour les poser sur moi.

Ni une, ni deux, elle pousse enfin sa chaise à roulettes en arrière pour récupérer une petite pile de documents. Elle les pose devant moi en se redressant, un crayon à la main. Elle m'explique grossièrement ce à quoi ça correspond, et tout ce que je retiens, c'est que c'est une clause de non-divulgation. En résumé, c'est un outil juridique visant à protéger les informations confidentielles d'une entreprise lorsqu'elles sont partagées dans le cadre d'une quelconque relation avec elle. Je comprends donc que c'est vraiment sérieux, en même temps, je suis là pour un mois, je vais sûrement en voir des vertes et des pas mûres.

— Une fois que vous avez signé, je vais vous conduire jusqu'à notre PDG. C'est lui qui supervise votre stage, il va vous faire passer un petit entretien pour savoir si le poste vous conviendra.

Mes yeux s'écarquillent de surprise à sa phrase. Je dois dire que je suis carrément étonnée, et même sous le choc. C'est carrément le PDG qui va s'occuper de moi ? Je ne suis qu'une simple stagiaire, et il dirige un empire. Ça n'a aucun sens, il ne doit clairement pas avoir le temps à accorder pour des futilités comme moi, et pourtant ça a l'air d'être le cas. Je ne sais pas du tout comment ça va se passer, mais ça m'angoisse finalement plus qu'autre chose. Parce que je réalise que si je ne suis pas à la hauteur de ses attentes, il va le voir directement, et là, je serai dans la merde. Je ne pourrai pas me cacher dans le dos des employées en leur demandant d'être indulgentes avec moi.

Je m'empare du stylo que me tend la secrétaire pour le faire danser sur la première page et essayer de faire ressembler mon gribouillis à une belle signature. Je n'ai pas vraiment regardé les modalités, et je sais qu'il fallait que je regarde à travers les lignes. Puisqu'il y a toujours la petite ligne en taille dix quelque part pour nous faire peur. Sauf que je n'ai vraiment pas fait attention quand elle l'a survolée. Je verrai bien ce que j'ai manqué quand je me ferai virer et qu'on me dira qu'il fallait que je lise la ligne tout en bas à la dernière page.

— Bien, allons-y, déclare-t-elle.

Elle m'invite à la suivre en contournant son bureau, et l'anxiété s'infiltre déjà dans l'air empreint de luxe. Mes pas résonnent de manière assourdie sur le sol en marbre impeccable du couloir, créant une atmosphère à la fois feutrée et oppressante. La porte métallique de l'ascenseur se referme derrière moi avec un son presque musical, mais c'est loin d'apaiser mes nerfs. Le bruit feutré de la cage métallique qui s'élève résonne comme une mélodie discordante, un rappel constant au fait que je vais me retrouver devant quelqu'un d'important, de très important.

Le sol recouvert d'un tapis moelleux de l'ascenseur absorbe la chaleur de mes pieds, accentuant mon sentiment d'isolement. La boule que j'ai au ventre prend de l'ampleur à chaque étage gravi, comme si chaque mouvement vers le haut ajoutait une nouvelle couche de tension sur mes épaules. Les battements de mon cœur résonnent dans mes tempes, et mes mains deviennent moites, me donnant l'impression d'être sale. La tension s'accumule dans mon cou et mes épaules, me faisant me sentir comme paralysée.

Lorsque l'ascenseur s'arrête brusquement, je sursaute. Les portes s'ouvrent avec une lenteur calculée, laissant filtrer une lumière éclatante qui me fait cligner des yeux. Émergeant de cette cage métallique luxueuse, la boule au ventre est désormais un nœud serré, prête à affronter mon entretien, ou pas.

— Eh bien, eh bien, vous voilà enfin, s'exclame une voix stricte et grave.

Tout ira bien.

Ça recommence.

𝐈𝐌𝐏𝐄𝐑𝐎 | kth Where stories live. Discover now