Au commencement

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Clément n'a jamais été du genre rêveur, ni très omniprésent, ni les pieds sur terre. Il gardait souvent son sang-froid concernant ses études, mais rarement en rapport avec sa vie sentimentale ou sa vie de tous les jours. Comme souvent, la fin de l'été était une forte de remise en question, une introspection de sa personne, qu'il tentait de cacher derrière une organisation pensée en long et en large pour lui occuper toute sa dernière semaine des vacances.

Les derniers jours avant la reprise, il s'occupait de ranger ses cours de lycée dans son grenier, passant désormais à la fac pour suivre son rêve de devenir historien en antiquité et en mythologie égyptienne. Il avait trouvé une fac à Paris, alors que sa famille habitait en province, et il avait même trouvé une colocation en ville qui lui permettrait de vivre à côté, alliant ses études et une vie... nouvelle ?

Il avait préparé ses affaires. Toute sa mince armoire tenait en trois valises ordonnées : une avec ses affaires d'été, une autre avec tous ses pulls et la dernière contenant ses vestes et blousons d'hiver. Il avait aussi une petite valisette de toilette pour mettre sa brosse à dent, son dentifrice et de quoi se coiffer et se raser. Sans doute aussi ne pourrait-il pas se passer de son déodorant.

Il rangea aussi sa chambre, avant d'aller acheter ses affaires de cours. Il ignorait en grande partie ce dont il aurait besoin, avait noté sur une petite liste tout ce dont il pensait devoir acheter et il l'avait pliée, laissant trôner cet unique bout de papier au milieu de son bureau luisant.

Il s'appliqua à décrocher les photos de ses amis, les rangea dans un carnet spécial pour photos, qu'il emporterait dans la poche interne de son blouson, pour pouvoir les garder. Il souleva une photo de lui en compagnie de sa petite sœur, et découvrit le visage angélique d'une jeune fille brune, les cheveux coupés au carré, un regard baigné de ténèbres avec un air neutre, aucun sourire sur le visage. Clément s'assit sur son lit en observant le cliché plus précisément, et sa gorge se noua. La sensation, les souvenirs... tout était encore trop vif dans son esprit, et la douleur encore trop présente. A un tel point qu'il n'osait même plus se dire de déchirer l'image, et qu'il reposa la photo, face cachée contre son bureau.

Une fois qu'il eut préparé ses affaires le mardi, le lendemain, il sortit en ville avec son meilleur ami. Un garçon souriant, au visage fin et avec des pommettes saillantes, ainsi qu'une mâchoire légèrement carré, il avait déjà une petite fente au menton et une moustache qui clairsemait le haut de sa lèvre. Il adressa un sourire éclatant à Clément, et ils mangèrent en ville, se baladant dans les parcs et à côté des cours d'eau pour profiter des dernières chaleurs de l'été.

"Tu pars quand ?

- En fin de semaine, répondit-il en s'installant sur un banc, devant le lac recouvert de canards.

- Tout ça ne risque pas de te manquer ?

- Si, soupira-t-il en respirant à plein poumons. A vrai dire, de ce que je sais de Paris, je ne vais pas aimer cette ville."

Théo, son meilleur ami, lui donna une tape sur son dos en riant. Il n'avait pas forcément besoin d'user de mots pour lui exprimer son ressenti vis-à-vis d'un point de vue ou d'une opinion.

"Mec, c'est la plus belle ville du monde Paris, calme ta joie. Tu ne peux pas dire sans avoir vu.

- Ouais, peut-être, dit-il en laissant tomber ses épaules.

- Tu es notre pro en histoire, tu te souviens ? Alors rappelle-toi tous les cours sur l'Histoire de France et tu verras que Paris, c'est pas si mal."

Ils continuèrent la journée entière à parler de tout ça. A dériver sur leurs années au collège, au lycée, et aujourd'hui à la fac et à la prépa. Théo avait trouvé ses marques en prépa économie, Clément en licence d'histoire de l'Égypte antique. L'un comme l'autre se retrouvaient éloignés de leur famille et de leurs amis. Tous les deux obligés à vivre en colocation, à avoir enfin de vraies responsabilité. Comme les adultes qu'ils étaient devenus.

Ils se quittèrent assez tard, dans les alentours de dix-neuf heures et le lendemain, le jeudi, Clément alla faire ses emplettes. Il aimait le neuf, alors il acheta des nouveaux stylos, des carnets de note, même des feutres et crayons pour les croquis, un organigraphe, plusieurs classeurs, des feuilles et tout un mélange de surligneurs. Il fit même l'acquisition d'un nouveau sac plus résistant, gris, avec deux trousses à l'intérieur, et un compartiment pour son MacBook. Il était paré. Il avait bien appris par cœur tous ses croquis du lycée, y avait consacré plusieurs semaines de vacances. Il avait aussi un peu de place pour emporter quelques bouquins, pas trop gros.

Le soir, il profita de sa dernière soirée pour manger avec ses parents et sa sœur. Allie était une jeune fille pleine de vitalité, un sourire toujours malicieux aux coins des lèvres et l'œil pétillant de savoir. Elle restait cependant discrète, comme son frère, et se contentait de prendre part à une conversation, sans jamais en commencer une réellement. Ce qui la rendait d'autant plus mystérieuse, que jamais aucune émotion ne transparaissait dans son air et dans son être. Elle était d'ailleurs très proche de Clément, et très attachée à son grand frère, son chouchou. Si bien que pour la première fois depuis des années, il vit dans ses yeux la petite étincelle qui s'éteignait.

Elle l'inonda de larmes quand il leur souhaita à tous bonne nuit parce qu'il devait se lever tôt pour prendre le train, et il la serra très fort dans ses bras, lui promettant de revenir après chaque partiel, pendant un weekend ou pendant une semaine de vacances, qu'ils les appelleraient souvent le soir pour donner des nouvelles et qu'à tout moment, ses parents pouvaient prendre contact avec les garants de la colocation, pour obtenir toute information utile ou pour donner des conseils.

C'est le cœur lourd, l'esprit embrumé et les veines gonflées de stress, qu'il alla retrouver le confort de ses draps trop petits qu'il ne pourrait plus connaître.

VertigesWhere stories live. Discover now