Capitale impitoyable

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Le trajet en train fut sans doute le plus long de son existence. Réveillé aux aurores, empli d'appréhension et de peur de quitter la maison, il avait avalé son café sans grand appétit, une boule immense au creux de l'estomac. Sa petite sœur s'était gentiment endormie dans le canapé du salon et soupirait dans son sommeil avec un sourire léger.

"Tout se passera bien ?", chuchota une femme ridée en lui tendant une valise emplie de vêtements et débordant de fournitures de bureau.

Il avait acquiescé sans rien dire, avait jeté un dernier regard à sa sœur et accordé un baiser sur la joue de son père avant d'ouvrir la porte et de quitter le cocon familial. Il avait ensuite pris la route de la gare, pour prendre un TGV. Son billet le plaçait à côté d'une fenêtre, donc il pouvait observer le paysage qui défilait. Il n'avait pas vraiment apprécié ce voyage, long et stressant. Même si en deux ou trois heures il était arrivé à la capitale.

Normalement, il devait être accueillis par un jeune de son âge, et l'attendant avec une pancarte portant son nom. La masse de gens qui descendait du train ou qui y montait le bouscula, et il dut lutter et jouer des coudes pour sortir de cette masse, jusqu'à être emporté comme un marin à la mer par le flot de passagers voulant aller dans une autre direction. Il les suivis en essayant de marcher à leur rythme. Quand il put trouver un endroit où se poser, il inspecta la gare avec attention.

Le sol était sale, l'atmosphère renfermait une odeur rance et d'urine. Quelques effluves de café lui parvenaient ci et là, mais rien de très alléchant. Plusieurs quais d'embarcation se profilaient en face de lui. Les trains, comme les murs par endroits, étaient taggés d'écriture obliques et du style pop art. Il se sentit rapidement oppressé par le bruit, les odeurs, les gens, et son regard se perdit sur les panneaux d'affichages. Il hésita un instant à reprendre un train pour rentrer chez lui, mais une petite tâche blanche attira son attention.

Il aperçut une fille aux cheveux blonds, tenant dans ses mains une feuille blanche avec son prénom noté en majuscules et au marqueur rouge. Clément. Il se leva, attrapa ses sacs et valises, et avança vers elle, en souriant. Elle avait l'air plutôt gentille, et observait également les gens en tentant de voir qui aurait pu avoir ce prénom. En l'apercevant, elle lui adressa un sourire courtois, déchira la feuille de papier et la glissa dans une poubelle crade.

"Je m'appelle Gaïa. Je suis ta colocataire. Enchantée, Clément !"

Elle se fraya un chemin pour sortir de la gare et débouché sur la rue. Il pensait pouvoir profiter de l'air frais pour souffler, mais erreur... L'air au dehors était encore plus irrespirable, il faisait une chaleur à en crever et il fut assaillis par les bruits de klaxon et de voitures qui tentaient d'avancer vers leur destination, sans succès, toutes bloquées par un bus. Il sembla assez effrayé de voir toute cette agitation nouvelle, et mit un certain temps avant de rejoindre Gaïa.

De dos, elle était totalement différente. Assez petite, les cheveux longs et ondulés, on aurait pu croire à de l'ocre, comme sur la tour Big Ben. Elle portait un simple haut blanc à fines bretelles dévoilant ses omoplates et un bas simple en jean bleu marine. Elle marchait en sandalette, et la première chose qu'il pensa était qu'elle n'avait vraiment pas peur. De face, elle avait les yeux sombres, un nez légèrement tordu sur le côté, des lèvres fines avec une peau marquée par une acné vieillissante avec des crevasses qui lui resterait à vie, sans aucun doute. Aucun maquillage hormis une frange rebelle qui marquait son front. Elle restait néanmoins très jolie et sa voix était des plus agréables.

"Alors, c'est ta première fois sur Paris ? demanda-t-elle au premier passage piéton.

- Oui, je suis un peu...

- Impressionné, coupa-t-elle en souriant. Oui, j'ai vécu ça aussi quand je me suis installée ici, mais c'est juste au début. On s'y fait."

Elle avança longuement mais assez doucement pour lui permettre d'observer les environs. L'architecture était assez inattendue pour lui, avec de vieux bâtiments se serrant les uns sur les autres, se touchant et s'affrontant pour un peu de place. Les façades étaient marquées par le temps et l'accumulation de pollution qui laissait des traces sombres de poussière. Le sol semblait recouvert de chewing-gum écrasés et collés. C'était plutôt étrange de marcher sur un sol noir moucheté de blanc grisé. Il chercha des yeux la grande dame de fer dont on lui avait tant parlé, mais sans jamais l'apercevoir.

"Tu verras, Michael est un mec génial.

- C'est notre autre colocataire ?

- Non, pas officiellement. C'est mon petit copain. Il squatte de temps à autres."

Clément acquiesça en la suivant, passant devant plusieurs bars à la forte odeur de café, devant des bistros et autres restaurants étrangers tels que des japonais, asiatiques, pizzerias, kebab et autres. En avançant, ils s'éloignaient de l'agitation et du bruit. Elle sortit une clé de la poche arrière de son pantalon, ouvrit la grande porte verte qui se dressait devant eux, et elle le laissa entrer, lui portant un des sacs. Elle avança dans une petite coure pavée et avec un petit carré d'herbe verte, une table et des chaises longues qui glandaient au soleil. Ils étaient en vérité dans une résidence, cachée des regards curieux et du bruit de la circulation.

Gaïa avança encore jusqu'à une porte rouge, plus petite, et elle emporta avec elle la valise de Clément, gravit les escaliers collés au mur et grinçants. Il n'y avait qu'un étage à gravir, et ils y étaient.

"Nous sommes les seuls résidents ?

- Les propriétaires ont une coloc d'étudiant, ici, et un appartement qui accueille des locataires. La dernière locataire est également étudiante, mais a assez de moyens pour ne pas être en coloc. Alors... les proprios sont heureux, tu vois ? En vérité, ils ignorent que je le sais, mais c'est leur petite fille ici pour ses études. Elle est très bizarre, m'enfin. Elle est gentille et elle n'est pas emmerdante, c'est cool."

Clément découvrit un nouveau défaut à cette Gaïa : son goût pour la parole et les commérages. Ce qui avait du bon en soit, mais qui aurait tôt fait de déranger notre grand introverti de protagoniste. Elle lui adressa un sourire en lui faisant découvrir l'appartement.

"Bienvenu chez toi."

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