Who's outside?

8 0 0
                                    


Comme à mon habitude, je coiffe les deux-trois mèches tombantes sur mon front et je déplore l'état de cette masse capillaire qui s'apparente plus à un nid d'oiseau qu'à une chevelure, puis j'enfile mes vêtements pliés à la va-vite. C'est devenu une routine maintenant. Déjà 5 mois que j'ai emménagé seule, et chaque jour j'ai l'impression de découvrir une nouvelle vie, déchirée entre l'envie de tout abandonner ou de poursuivre mon cursus scolaire qui ne me plaît pas plus que ça. Par principe, j'essaie quand même d'obtenir mon diplôme, que je ne gâche pas deux années de ma vie pour abandonner à la fin.

Je prend mon sac en vitesse, y fourre deux trois cahiers et une trousse, et m'engage dans ce grand hall sombre de ma résidence jusqu'à l'ascenseur. Sur le chemin, je croise un de mes voisins de couloir, à la démarche titubante et au visage pâle. J'arrive à son niveau, c'est tout juste si je me colle pas au mur pour éviter l'espèce d'halo nauséabond qui l'enveloppe, un mélange d'alcool et de sueur.

Je l'ai déjà croisé auparavant, mais jamais dans cet état. A vrai dire c'est plutôt le contraire, il était un jeune homme plein de vie, au sourire charmeur et attrayant. C'est plutôt surprenant de le voir comme ça. Du coin de l'œil, je remarque un sourire crispé et des yeux injectés de sang. Je ne suis pas une grande connaisseuse, mais j'imagine que ça doit être les conséquences trop poussées d'une soirée bien arrosée ?

~

Ce n'est même pas la peine de décrire cette journée de cours tellement elle était... vide.

Habituellement, en sortant de l'établissement, je vais à la salle, pour me détendre. Mais là, c'est différent. Je ne supporte plus ma routine, je hais chacun des instants passé en tête-à-tête avec ma solitude. J'ai l'impression de vivre la nuit, quand la ville s'endort et que seuls subsistent les chats de rue et les clochards qui déambulent. C'est dans ces moments que je me laisse aller à mes pensées, mes souvenirs, mes démons.

Je nourris une furieuse aversion envers la personne qu'était mon père. En même temps, je ne sais même pas s'il m'a déjà considéré comme sa chair. Ce qui m'a motivé à ne pas lui ressembler, c'est sûrement comment il a déchiré le reste de ma famille. Il souffre de bipolarité. Du moins c'est ce que m'a dit ma mère, pour justifier les coups et insultes qu'elle subissait au quotidien. Les cas déclarés de violence envers son entourage dû à la bipolarité sont rares. Je crois qu'elle essayait de me rassurer vis-à-vis de mon père. Cet homme que je ne reconnais en aucun cas comme mon paternel n'a à vrai dire sûrement jamais regretté d'avoir frappé maman, ni mon frère. Lui aussi a quitté le cocon familial, sans donner de nouvelles, après une énième dispute.

J'ai toujours suspecté mon père d'excuser ses actes de violences envers autrui par ses troubles psychologiques, ce qui s'est avéré vrai une fois qu'il en est venu à fracasser une bouteille qu'il venait de terminer au goulot sur le crâne de maman. C'est à cet instant-là que, à l'âge de 15 ans révolus, je pris la fuite. J'ai regretté ce choix car, suite à cela, j'ai appris le décès de ma mère, agonisant, suite à une perte de sang trop importante. J'ignore comment, mais mon père l'a battue à mort, puis s'est emparée d'un couteau, et vous connaissez la suite...

Dès lors, l'histoire clichée de la fille qui va de famille d'accueil en famille d'accueil, ben la voilà. Jusqu'à mes 18 ans, bénéficiant d'une bourse estudiantine assez élevée à cause de mon statut social, j'ai brillamment obtenu mon baccalauréat, et n'avait qu'un seul objectif en tête : éliminer ces mots terribles que sont féminicide, violence conjugale, sexisme, harcèlement, et surtout oublier le mot « père ».

Mais comme vous le savez, je hais mes études. Je voulais me pencher justement sur les luttes pour la femme. Les études en droits ne m'octroyaient pas ce savoir-là, il s'agissait de stupides statistiques sur l'histoire et l'économie. J'ai donc approfondi mes recherches par moi-même, et par la même occasion je me suis renseigné sur la bipolarité. Je crois que c'est ce qui m'a dégoûté de ma vie actuelle et que je souhaite prendre le large une deuxième fois.

Mon père a disparu, après mon frère, mystérieusement. Le soir de mon départ, la police est venue sur les lieux, et n'a trouvé qu'une maison sens dessus-dessous et le corps sans vie de maman. Il a aussi été découvert des traces de lutte, sûrement mon père, mais je crois que tout le monde a passé ce détail, pensant que c'est lorsque mon père a agressé maman. Aussi horrible que cela puisse paraître, ma mère ne s'est pas débattue, je l'ai vue de mes yeux. Je ne vois pas pourquoi on retrouve des meubles renversées, des portes défoncées et un miroir « percé ». Quand je dis percé, c'est qu'il y a un trou béant dans le miroir, sans cassure ni lézardes autour du trou. Un cercle parfait. Encore une fois, ce détail n'a pas attisé la curiosité lors de l'enquête.

Toujours est-il que ce monstrueux homme est toujours en cavale, et qu'il pourrait sévir à n'importe quel moment. La police a abandonné les recherches depuis bien longtemps. J'ai actuellement 20 ans, et le jour qui a bouleversé ma vie s'est déroulé il y a 5 ans déjà. Entre temps, mon frère n'est pas non plus entré en contact avec moi.

~

Un bruit me sort de ma torpeur. A vrai dire, je ne saurais dire ce que c'était, à part que c'était assez bruyant pour éventer mes pensées. Il me fallut un temps avant de comprendre que c'était un cri, masculin. Un cri d'agonie, semblable à celui qu'a poussé ma mère quand elle s'est écrasée sur le sol. Il semblait venir d'un des appartements de mon étage. J'ouvre la porte de mon appartement, et comme il n'y a pas de capteurs de mouvement dans mon couloir, il me fallut un léger temps d'adaptation à l'obscurité pour deviner une forme humanoïde en plein milieu du couloir, figé. Je suis en bout de couloir, et je dirai que cette silhouette se situait à mi-distance entre mon appartement et l'ascenseur. Après quelques interminables secondes, je comprends qu'il s'agit du voisin que j'ai croisé la veille (il est approximativement 3h30 du matin). Il semblait encore plus déplorable, et plus... sale ? 

Il repère la lueur qui sort de la porte de mon appartement, je le sens me fixer, mais il n'a aucune réaction. Du moins, avant qu'il ne pousse un second cri tonitruant. Je me suis trompée, c'était lui l'auteur du premier hurlement, mais je suis affirmative sur le fait que c'était un cri de douleur. Sous la panique et par réflexe, je ferme la porte et reverrouille immédiatement à double tour. Je crois bien qu'il s'est écoulé bien 5 minutes avant que je n'entende un troisième cri, cette fois beaucoup plus proche. Je ne l'ai pas entendu approcher, mais surtout je ne comprends pas ce qui lui arrive. En tout cas, il est hors de question que je lui ouvre. Qui, en même temps, l'aurait fait ?

J'éteins les lumières et je regarde par le judas, espérant ne rien voir, priant pour qu'il soit parti. Malheureusement il était bien là, je ne voyais pas son visage, mais je devinais sa silhouette grâce à la faible lueur émise par les spots de lumière dans le couloir. Il semble me regarder, comme s'il savait que je l'observais de l'autre côté de la porte. Je m'écarte de la porte, croyant à une mauvaise blague, et je me réfugie avec un balai dans ma chambre, téléphone en main.

 Je patiente une bonne demi-heure, de la sueur froide coulant de ma nuque jusqu'en bas du dos. Je n'osais même pas respirer. Après une attente interminable, je décide de prendre mon courage à deux mains et de retourner regarder par le judas. Cette fois, je ne vis rien. Mais, pourtant il est censé y avoir de la lumière dans le couloir non ? C'est là que je compris, avec horreur qu'il était bien là, mais que son visage était collé à ma porte, son œil pressé contre l'orifice du judas. Il est resté tout ce temps devant ma porte, à attendre que je réagisse.

Face à cette situation, mon corps agit tout seul, ou du moins il choisit de ne pas agir. Mes jambes me lâchent, je hyper-ventile et mon cœur manque d'exploser sous l'effet de la panique.

Là c'est le blanc total. J'entends un cri, j'ignore si c'est le mien, ou encore celui de ce « monstre » qui m'attend dehors.

Ce qui me ramène à la réalité, c'est un bruit désagréable. Des ongles qui grattent les jointures de la porte, comme s'il essayait de creuser cette épaisse couche de bois qui nous séparait.

Toujours mon téléphone en main, je tapote fébrilement le numéro d'urgence, le porte à ma joue pour quémander de l'aide au plus vite.

Au même moment, une voix s'élève de l'autre côté de la porte, une voix qui ne pourrait provenir d'un humain, prononçant inlassablement cette phrase : « Ante lucem moreris venit »

Hai finito le parti pubblicate.

⏰ Ultimo aggiornamento: Jan 28, 2020 ⏰

Aggiungi questa storia alla tua Biblioteca per ricevere una notifica quando verrà pubblicata la prossima parte!

BipolaireDove le storie prendono vita. Scoprilo ora