Le rêve

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     Mespieds vissés dans le sol me faisaient mal. Incapable de bouger, de penser, jerestai là, immobile, dans ce sol que je ne connaissais pas, et que je n'avaispas la moindre envie de connaître. Tous mes muscles me supplièrent de fuir,ignorant volontairement les blocs de béton qui m'enlisaient les chevilles, medonnant ainsi l'impression que j'avais la possibilité de m'extirper de cettemystérieuse emprise. Chaque fois que j'eus essayé de faire un pas, je tombai,manquant de casser mes chevilles qui refusaient obstinément de se mouvoir.  

     Uneangoisse suffocante ne tarda pas à monter jusqu'à ma poitrine, enserrant moncœur, comprimant mes poumons, engourdissant mes jambes et mes bras,embrouillant mes pensées. J'essayai alors, le souffle court et les yeux embués,de distinguer l'apparence du lieu dans lequel j'étais faite prisonnière.Peut-être apercevrai-je une sortie, ou un moyen de libérer mes pieds.

     J'étaicernée de colonnes de style ioniques toutes aussi massives les unes que lesautres. Elles étaient si hautes et si imposantes que je ne pouvais ni voir leplafond, ni apercevoir quoi que ce soit qui fut derrière elles. Entre moi etmes geôlières, il n'y avait rien. Juste un sol gris, avec au centre mon corpsendolori enfoncé jusqu'aux chevilles, dans l'incapacité totale de me déplacer. Jeme mis à crier à l'aide, mais aucun son ne s'échappait de ma gorge meurtrie parla panique. Je m'efforçai à penser à quelqu'un qui pourrait me calmer, meréconforter, mais rien ne me vint. J'avais oublié tous les noms, tous lesvisages.

                                                                            J'étais seule.

     Puis, sans prévenir, une des colonnes qui me faisait face explosa dans un immense fracas. Un bruit assourdissant me fit porter mes mains à ma tête, alors que des débris fusaient de toute part autour de moi. Les autres colonnes commencèrent à exploser elles aussi, une après l'autre. Un morceau siffla près de mon oreille, alors que je tentai tant bien que mal d'éviter les projectiles. L'un d'eux percuta ma main avec une telle force que mes os ne disloquèrent et se brisèrent tout d'un coup, m'arrachant un atroce cri de douleur. Je ne réfléchissais plus, je ne voyais plus, tout s'enchainant trop vite devant mes yeux.

     C'est à ce moment qu'un débris me happa en plein milieu du corps. Pliée en deux sous le choc, je le sentis déchirer ma peau, mes entrailles, mon foie. Il me cassa des côtes, me perforant aussi les poumons au passage. Tout était au ralenti, ma vue se brouillait, je sentais mes forces me quitter comme la moitié de mes organes. Je ne voulais pas partir. Je ne voulais pas m'endormir. Je ne voulais pas mourir.

     J'ouvrisles yeux. J'étais étendue sur le dos. Les colonnes avaient disparu, le sol enbéton aussi. J'étais étendue dans ma chambre, entourée de quatre murs quim'étaient si familiers que j'aurais pu en pleurer de soulagement.

     Pourtant, mes yeux vissés au plafond me faisaient mal. Incapable de bouger, de penser, je restai là, immobile, baignant dans des draps imbibés de sang, ma blessure à l'abdomen encore béante.

Le rêveWhere stories live. Discover now