Retraite

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C'était avec son fidèle sac à dos en cuir et sa charrette tirée par le vieux Réginald que la petite fermière aux cheveux noirs coupés à la garçonne s'en revenait du marché. Elle avait empoché quelques pièces d'or et revendu tous ses produits à la fin de la journée. C'est a présent sous le ciel de nuit pale bordé de rouge qu'elle faisait le chemin inverse dans les bois, passant l'énorme crâne de dragon qui ornait les portes de la ville. Sa tête dodelinant en somnolant sur le chemin. Jusqu'au dernier moment son mari avait voulu la retenir à la ferme mais elle avait été catégorique : Elle avait besoin d'air. Ça faisait bien des mois qu'elle était cloitrée, et ses voisins n'avaient aucune conversation...Son bâton de berger sur les genoux, son vieux cheval de trait a la robe couleur sable connaissait le chemin par cœur. Elle se surprit à retrouver ses mains sur son ventre. C'était devenu une habitude depuis qu'elle était enceinte. Elle avait toujours eu une taille de guêpe et ce gros ventre s'invitait comme un intrus et ruinait sa silhouette. Elle espérait que ça ne lui resterait pas trop sur les hanches après que le petit soit né.

-Eh toi !
Se tirant de sa léthargie, elle cligna des yeux, s'apercevant que Reginald s'était arrêté. Devant elle cinq hommes, portant de grands vêtements de cuir, leur visages cachés derrière des bandanas.
-La bourse ou la vie ?!
Elle les regarda d'un air incrédule, l'un d'entre eux la pointait avec une arbalète tandis que les autres faisaient mine de se faire plus imposant qu'ils ne l'étaient, celui qui venait de lui parler était un blondinet boutonneux qui pointait une épée bâtarde dans sa direction.
-T'es bouchée ou quoi ?! M'oblige pas a...
"Ca va, j'ai entendu." Fit la jeune femme d'un ton agacé avant de dévisager leur chef avec mépris. "Vos parents savent que vous êtes là ?"
-De quoi ?! J'te préviens garce si tu... » Fit le leader avant de se faire couper la parole a nouveau
"Et c'est avec cette bouche que tu embrasse ta mère ?" Elle lança un regard périphérique aux jeunes gens. "Franchement vous devriez avoir honte ! "

Elle vit les brigands hésiter, d'habitude les gens qu'ils rançonnaient ne parlaient pas de leur parent. L'un d'entre eux sembla même regarder ses pieds d'un air gêné. Le leader leva son épée au niveau de la gorge de la femme

-Epargne nous tes fadaises et donne nous ton pognon ! Il poussa un cri de surprise quand la femme empoigna la lame de l'épée a pleine main.
-Je...Je vais te trancher les doigts ! La femme eut un rictus.
-Tu trancherais même pas du saucisson avec une épée aussi peu aiguisée ! Tu n'as jamais coupé dans de l'homme. Je le vois dans tes yeux "

Tirant sur la lame et la poussant, elle déséquilibra le gamin qui tituba de quelques pas. Elle lança un regard plein de colère aux pillards hésitants, ne pensant pas que cette proie facile allait se changer en si formidable adversaire.

"Alors qu'est-ce que vous attendez ?! Je suis une femme enceinte et vous êtes cinq, nom d'un chien !"


Les brigands se ruèrent sur elle avec leur gourdin. Sans se lever de la charrette, Elle fit tournoyer son bâton au dessus de sa tête et tandis que les truands regardaient le bâton, elle tira un grand coup sur les rennes. Réginald rua et en dégomma un. Elle abattit alors son bâton comme une masse sur le crâne du second truand qui se roula sur le sol en jurant, le troisième se vit gratifié d'un coup de crosse en pleine mâchoire tandis que dans son élan il tombait en avant et s'écrasait sur le bord du chariot. L'homme a l'arbalète se décida enfin a presser la détente...Mais rien ne se passa il regarda l'arme d'un air perplexe.
Le chef bondit sur ses pieds et voulut saisir la femme par le bras, un couteau a la main, mais se vit désarmé par un coup dans le poignet avant de recevoir un autre coup en plein estomac qui le plia en deux et le força a rendre son déjeuner. La fermière soupira et retroussa ses manches révélant deux paires de bras fin, mais musclés et observa les terribles rançonneurs gisant autour de la carriole.

"Allez, que je ne vous recroise plus."

Elle tira sur la bride et Reginald se remit en marche. Alors qu'elle passait devant l'homme a l'arbalète qui regardait son arme sans trop comprendre et elle lui lança avec mépris.

"Y'a encore la sécurité."
-Ah !
"Bouffon."

Et sur ce-elle repris sa route en soupirant. Quand ils s'étaient installé le voisinage était plutôt calme...Un bon endroit pour élever un enfant...Enfant qui était en train a présent de la torturer...Elle passa une main sur son ventre et se renfrogna. Elle n'avait pas eu l'impression de faire tant d'efforts pourtant...Elle détestait cette sensation de faiblesse...

-Shhhh...Shhh...On est bientôt arrivé. Aaaaah !

Le leader et l'arbalétrier décidèrent d'aller voir ce qui clochait

-Euh, ça va aller?

La femme agrippa le manteau du jeune homme et le tira a elle il se protégea le visage instinctivement.

"Prend les rennes!" Fit elle son front dégoulinant de sueur
-Quoi ?
"PREND LES RENNES !"

Il obéit sans se faire prier tandis qu'elle poussait un autre cri de douleur et se cramponnait au chariot.

" Met les bouchées doubles ! Le bébé..."
-Quoi le bébé ?
"Le bébé arrive !"

Les brigands se lancèrent un regard circonspect.

*****

Les brigands avaient enlevés leur bandana et sirotaient un chocolat chaud au coin du feu. Tous assis dans le grand salon de la ferme sur un canapé confortable, la lueur du feu révélant leur visage inquiet, se regardant les uns les autres en chien de Fayence. Le salon avait quelque chose de terrifiant. Des trophées de chasses constellaient les murs de la ferme, des sangliers, des ours, des lions en passant par des rhinocéros, mais aussi quelques créatures fantastiques, telles que des vouivres ou des hydres. Sur le mur opposé se trouvait également une collection impressionnante d'armes, au milieu de laquelle trônait une énorme hache a deux mains qui devait bien peser vingt kilos. Les ados tremblaient. Chacun de leur geste était parfaitement contrôlé parce que devant eux, tenant un mug rempli de grog, se trouvait l'homme le plus massif qu'ils aient jamais vu. La graisse sur son ventre avait du mal à cacher ses pectoraux d'antan et malgré son visage bardé d'une cicatrice, l'homme arborait un sourire niais derrière une grosse moustache de gaulois blonde. Il parlait avec un fort accent du nord et arborait le sourire plein de fierté de celui qui allait bientôt être papa.

-L'Docteur a dit qu'on était arrivé juste à temps. Un peu plus et ça aurait été compliqué.
"Ha ha. C'est bien alors." Lança le petit blondinet nerveusement en frissonnant, bien que des boissons leur avaient été servies aucun des truands n'osaient boire à leur tasse.
-Où vous l'avez rencontrée ? Au marché ?
"Euh on peut dire ça comme ça oui."
-Vous êtes tous parrains maintenant, 'videment. » Fit-il, son visage barré d'un sourire jovial.

Les adolescents se lancèrent des regards désespérés, caressant le doux espoir que l'un d'entre eux allait s'insurger, mais ils opinèrent tous du chef devant l'homme dont les biceps faisaient la taille de leur tête. "Lâches" pensèrent t'ils tous a l'unisson. Le grand blond pouvait sentir que l'atmosphère était tendue alors il décida de faire un brin de causette.

-Vous aimez mes trophées ? Tué chacun d'entre eux. Avec mes mains. »

Ce qui n'eut pas vraiment l'effet escompté. Heureusement le docteur ouvrit la porte de la chambre et lança.

-J'aurais besoin d'eau chaude, vite ! Fit-il alors que la fermière hurlait a la mort dans la pièce d'a coté. Son mari pris une manique se dirigea vers l'âtre, soulevant le chaudron massif qui y reposait d'une seule main.
-BJÖRN ! Hurla t'on dans la chambre.
"J'ARRIVE !" Répondit-il d'une voix rauque. Mais c'était trop tard. Un des gamins bouche bée lança.
-Vou...Vous êtes Björn ? LE Björn?! L'Ours bleu ? Vainqueur de la Grande Faille ? Le Berserker devant lequel les dieux ploient ? Le héros des nains ?! "
"Ah " Fit Björn alors qu'il atteignait la porte de la chambre, se grattant la tête de sa main libre comme si ces titres avaient l'air de lui passer au dessus. "Oui c'est moi.". Il fut a nouveau interrompu par un autre cri courroucé. "On parlera plus tard.". Fit l'homme de sa voix tranquille, reprenant son chemin vers la chambre...

************

-J'arrive pas a croire que j'ai bu du chocolat chaud avec Björn le barbare ! Fit l'un des truands tandis qu'ils étaient sur le patio sous le ciel étoilé.
"C'était y'a longtemps." Répondit Björn avec modestie.
-Mon père me racontait souvent vos aventures, et comment vous avez aidé Julia fléau des Dragons a tuer Magda, le Dragon Rouge, dont le crâne orne les portes de la ville maintenant. Vous savez ce qu'elle est devenue ?
"Oui, elle vient de donner naissance dans la chambre."
Les brigands se regardèrent en clignant des yeux.
-Merde !
"Hmm hmm."
-Mais pourtant dans les histoires on dit qu'elle porte une armure en écaille de dragon d'or et qu'elle se battait avec une épée magique dans chaque main sur le dos d'un griffon noir ! Ca s'est jamais passé ?!
"Oh si."
-Bon sang mais qu'est-ce que vous avez fait de toutes ces merveilles ?!
"Ça doit encore trainer quelque part."

Les gamins le regardèrent, Bjorn semblait parfaitement sérieux, ils s'impatientèrent.

« -Mais pourquoi ? Vous étiez des héros ! Vous mangiez à la table des rois ! Vous aviez un bateau voguant sur les airs ! Vous combattiez des mages ! Des seigneurs du mal ! Des Dragons ! Pourquoi vous avez décidé de tout plaquer du jour au lendemain !?"
Björn sourit aux adolescents et se leva en prenant les tasses.
"On élève mal des enfants en combattant des Dragons."

Et sur ces quelques mots simples, Bjorn l'Ours Bleu débarrassa leur tasse, fit la vaisselle et se rendit dans la chambre où il s'assit sur le lit, regardant sa femme épuisée dormir du sommeil d'un sommeil lourd, tenant contre sa poitrine dans de simples couvertures, leur avenir.

RetraiteWhere stories live. Discover now