Chapitre 26

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Après quelques secondes de sidération durant lesquelles Julia ne parvient plus à détacher son regard du traitement inhumain que subit la prisonnière toujours inconsciente, le mécanisme de ventouses qui aspire le lait maternel se décroche. Tiré vers le plafond de l'installation il y disparaît.

Ainsi libérés et vidés de leur substance, les seins de la jeune mère se sont rabougris comme deux fruits secs et son corps semble à présent avoir été drainé de toute vie. À peine Julia a-t-elle fait ce constat des plus édifiants, que, dans un bruit multiple de claquements consécutifs à la relâche de ses entraves, l'inconnue est délivrée des étreintes qui l'enserraient jusqu'alors.

La voyant glisser vers le sol, la rouquine se précipite pour amortir sa chute. Se collant tout contre elle, Julia l'enlace fermement et le regard enfin posé sur le visage de cette anonyme, stupéfaite, elle se fige. Ses yeux s'ouvrent grands et ses pupilles se dilatent à leur maximum exprimant ainsi une effroyable terreur.

Maintenant que la mèche de cheveux qui empêchait d'identifier la jeune mère s'est rabattue sur le côté, Julia reconnaît les traits asiatiques de Léa. Dans le caisson où un silence abscons s'est installé, la rouquine, qui tient toujours dans ses bras son amie, semble à présent appartenir à une réalité diamétralement opposée - un espace-temps situé à environ neuf mois dans le futur. En effet, comment son ancienne partenaire de cellule a pu atteindre le terme de sa grossesse et enfanter, alors qu'elles viennent à peine d'être séparées ?

Prise à la gorge par une boule d'angoisse qui manque de la faire suffoquer, Julia cherche toujours des réponses aux multiples questions qui l'assaillent lorsque Léa, qui se réveille enfin, ouvre à demi ses yeux en amande.

Contrairement à la dernière fois où elle avait pu observer le regard de l'Asiatique, Julia constate que le blanc de ses globes oculaires n'est plus rougi par la forte concentration de veinules boursouflées. Ils ont retrouvé leur couleur naturelle légèrement jaune par endroits et les iris qui faisaient alors qu'un avec les pupilles d'un noir d'encre sont maintenant redevenus marron sombre.

Tout en dévisageant Julia, Léa lui lance en bégayant :

— M... Mon... Bébé. Où... Où est... Mon bébé ?

Julia n'a pas le temps de lui dire quoi que ce soit. Dans la cabine, un bruit d'engrenages retentit et, juste après, le sol se dérobe sous les pieds des deux filles.

Dans un réflexe surprenant, Julia réussit à saisir d'une main le mécanisme de fauteuil gynécologique resté en suspension pour, de l'autre et au prix d'une contorsion ahurissante, attraper l'avant-bras de Léa. Retenant ainsi dans sa chute son amie, Julia voit cependant disparaître dans les méandres du puits sans fond qui vient d'apparaître l'arme qui l'accompagnait jusqu'alors.

Après plusieurs secondes passées suspendues dans le vide, son corps en extension et ses muscles bandés à leur maximum, la prise de Julia sur l'avant-bras de Léa est devenue moite, et comme une fatalité, elle sent glisser l'Asiatique au bout de son poing.

— Léa, lui crie-t-elle d'une voix étirée par l'effort. Réveille-toi, je t'en supplie. Je... Je sais que tu m'entends. Je ne tiendrai plus longtemps, alors fais quelque chose, finit-elle par cracher dans une contraction qui froisse son visage.

Levant le regard vers son amie, Léa n'est en réalité guère capable de faire quoi que ce soit.

— Ju... Julia, parvient-elle tout juste à balbutier avant que toutes ses forces ne l'abandonnent. En raison de son poids, elle tire toujours plus la rouquine vers le trou qui semble à présent l'aspirer.

Arrivée au bout d'une tension qui a rendu tout son corps douloureux, Julia finit par lâcher prise. Hurlant le nom de cette nouvelle perte humaine jusqu'à s'en rompre les cordes vocales, elle voit sombrer dans les ténèbres la silhouette de Léa qu'elle a, par tous les moyens, tenté de sauver.

Maintenant seule dans l'habitacle de la cabine ouverte par le bas, c'est en se balançant tel un pendule que la rouquine réussit dans un ultime effort à ramener sa seconde main vers la structure de fauteuil gynécologique. La saisissant, elle y renforce alors son accroche.

Ainsi suspendue dans le vide au-dessus de l'abîme, Julia s'offre un court instant de répit. Observant tout autour d'elle et ne trouvant aucune autre échappatoire que le hublot du caisson - son seul moyen d'espérer sortir d'ici - elle entreprend finalement de se hisser davantage sur la structure métallique pour essayer de l'atteindre. Mais après plusieurs tentatives qui se soldent toutes par un échec cuisant, à bout de forces, elle abandonne.

Se laissant pendre dans le vide, la rouquine reste là, à la manière d'un vêtement qui sécherait sur une corde à linge. Très vite, les secondes passent, se transforment en minutes puis en dizaine de minutes. Après plus d'une demi-heure, le supplice de son corps en suspension est devenu pour Julia insupportable.

Suant maintenant à grosses gouttes, elle finit aveuglée par l'écume qui, s'immisçant dans ses yeux, irrite de son caractère salin son regard. Plissant à leur maximum ses paupières dans l'espoir de chasser la désagréable sensation de picotement, la rouquine atteint finalement le point de rupture et elle lâche prise.

Disparaissant dans la noirceur du passage dont il est impossible d'évaluer la profondeur, cette ultime culbute vers les tréfonds d'une infrastructure qui n'a pas fini de révéler ses secrets, conduit à n'en pas douter Julia vers le plus insoupçonnable des dénouements.

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Bonjour à toutes et tous. J'espère que vous avez passé d'excellentes vacances. N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce nouveau chapitre et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) Je vais continuer de publier la suite de mon histoire au rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches matin vers 10 heures. Bises.

Dévorée [ Gagnante WATTYS2020 ]Where stories live. Discover now