LUNDI 23 / 14 HEURES

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Le spectacle qui se jouait dans l'appartement depuis trois jours était une belle valse, bien rythmée, bien exécutée. Un, deux, trois. Ninon se levait avant Louis, prenait son petit-déjeuner et jouait un peu, juste avant que lui n'émerge. Un, deux, trois. Quand il sortait, elle était dans sa chambre, et c'était son tour. Un, deux, trois. Elle avait faim avant lui, alors il patientait jusqu'à 14 heures pour prendre son repas. Un, deux, trois. Puis jusqu'à 21 heures pour le dîner. Et ainsi, ils ne se croisaient jamais. Pareil pour la salle de bain, ils avaient tacitement assimiler l'emploi du temps de l'un et de l'autre. Ninon aimait prendre sa douche le matin, Louis le soir. C'était une mécanique bien rodée, résultat de mois de cohabitation sans s'adresser la parole. Ils avaient vécu de la sorte depuis le début de l'année, même quand ils étaient trois, réussissant l'exploit de vivre dans soixante mètres carrés sans jamais ne serait-ce qu'être dans la même pièce en même temps.

Ce n'était rien de nouveau, en soit, mais c'était différent. Cette fois-ci, Louis avait vu l'autre côté du miroir, celui d'une colocation agréable, sociale, amicale. Il avait préféré cette face, et revenir brutalement à la réalité d'avant était douloureux.

Il ne savait toujours pas ce qui lui avait pris. En temps normal, il était ultra-prudent dans ce genre de situations, il n'engageait aucune action sans être confiant à deux mille pour cents que l'autre personne ressentait les mêmes émois. Là, il avait perdu ses moyens. Il avait voulu se rassurer, se répétant que c'était la fièvre, mais au fond de lui, il savait. Ce n'en était rien. Il était juste débile. Louis allait mieux, par ailleurs. Il reniflait par moments, mais avait retrouvé son énergie, et faisait des nuits complètes. La veille, il avait même réalisé une séance de sport, soulevant quelques poids qui prenaient la poussière dans son placard. Rien d'exceptionnel, mais il avait bien sué, et ce n'était pas à cause d'une maladie.

Ninon ne faisait aucun bruit dans sa chambre. Il n'entendait jamais de pas, de porte d'armoire qui claquerait, de vidéos ou de musique. Elle restait silencieuse, et parfois, il s'inquiétait du manque de signe de vie. Alors, de son bureau, quand l'heure du repas arrivait, il enlevait son casque et guettait le son d'une poignée qui se baisse. 12 heures 30, pile. Toujours précis. Elle sortait, et lui soufflait, rassuré jusqu'au soir. Quand il percevait le même bruit, et la porte qui se refermait, il se levait et se rendait à sa suite dans la cuisine. Et quand il y pénétrait, qu'il se trouvait face au plan de travail immaculé et la pièce sans vie, Louis avait un pincement au cœur, nostalgique de la semaine passée, où il s'était tant amusé.

Ils ne se battaient plus pour la vaisselle. Chacun lavait son assiette, sa fourchette, sa casserole, et chose nouvelle, Louis le faisait dès son repas terminé. Ils n'avaient jamais autant bien cohabité. Et ils ne se parlaient même pas.

Louis ouvrit le réfrigérateur. Les étagères se vidaient dangereusement, il attrapa son paquet de jambon. Il n'y en avait plus, il ne comprenait pourquoi il l'avait rangé la fois dernière. Il devait avoir la tête ailleurs. Louis soupira longuement, se rabattant sur deux pauvres œufs qui traînaient dans le bac à légumes. Il repensa à sa tentative. Il luttait contre son esprit pour oublier son geste gênant, mais joueur, son cerveau prenait un malin plaisir à le lui rappeler. Louis rougissait, secoué d'une vague de honte, jusqu'à ce que ça passe. C'était désagréable.

Il hésitait à faire le premier pas. Il voulait s'excuser, mais il craignait de la futilité de la chose. Ne valait-il pas mieux qu'ils fassent comme si de rien n'était et qu'ils continuent leur vie normalement ? Dans un monde où ils n'auraient pas été coincés dans cet appartement, c'est ce qu'il aurait fait. Avec tous ses potes, toutes les filles à la fac, il n'avait pas besoin de Ninon, mais là, il n'avait qu'elle. Après deux jours sans réel contact humain, il commençait déjà à déprimer.

Une idée tilta, et Louis s'empressa d'attraper une feuille et un crayon. D'une main rouillée de ne pas avoir écrit pendant des mois, trop habitué aux touches d'un clavier, il griffonna quelques mots, et se dirigea vers la chambre de Ninon. Le papier disait : « Plus de jambon :( Est ce que tu peux aller faire des courses ? » Il était toujours contagieux, alors il valait mieux qu'il ne sorte pas.

Louis glissa le papier sous la porte de Ninon, prenant le soin de faire dépasser la feuille de son côté, pour voir si elle allait la tirer. Accroupi là, devant un morceau, il devait avoir l'air fin. Pourtant, il ne bougeait, les yeux fixés au sol, attendant qu'elle l'attrape. Il ne se passait rien, alors Louis se dit qu'elle n'avait pas dû le voir. Du bout des doigts, il joua avec la feuille pour la faire bouger, espérant avoir l'attention de sa colocataire. Soudain, il sentit une certaine résistance, et lâcha. La feuille disparut, son cœur eut un raté. Il s'assit, les genoux douloureux. Il était désormais en tailleur devant cette porte, comme un chat qui attendrait qu'on lui ouvre. Il avait chaud, et les battements tambourinaient dans sa poitrine.

Le papier réapparut, il sauta dessus, avant de tomber de haut.

« non » avait-elle écrit avec application.

Louis soupira, déçu mais déterminé. Il avait prit son stylo avec lui, et inscrivit. La mine du crayon râpait sur le papier, à cause de la moquette du couloir.

« S'il te plaît, je te donne des sous »

Il refit passer le papier, mais cette fois-ci, Ninon ne l'attrapa pas. Après trente secondes interminables, Louis perdit patience, et récupéra la feuille, écrivant à nouveau.

« Je suis désolé »

Il poussa de nouveau son papier, en le faisant glisser complètement. Ninon serait bien obligée de le prendre. Louis se releva, désespéré, non du fait qu'il n'aurait pas de jambon mais de celui que Ninon semblait vraiment fâchée. Il s'en était douté après un week-end sans un mot, mais, avoir la confirmation renforçait la souffrance. Il allait retourner dans la cuisine, quand un grincement l'immobilisa. Ninon venait d'ouvrir la porte. 

La houleWhere stories live. Discover now