Partie 1

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Journal

Je n'écris pas « cher journal », ou « mon cher journal » car je ne suis pas encore bien sûre de te garder longtemps. C'est Anne, ma meilleure amie, qui m'a conseillé de t'écrire. Je ne sais pas encore ce que je vais te raconter, si je vais vraiment oser me dévoiler à toi... En fait je suis très sceptique sur ce que tu peux vraiment m'apporter. Écrire « tu » alors que je m'écris à moi-même, c'est déjà étrange. D'ailleurs, je ne lirais sans doute jamais ce que j'écris.

Je vais commencer avec Anne, ça me semble plus facile. Elle est gentille Anne, mais qu'est-ce qu'elle a souffert ! Son mari décédé, ses amies qui la laissent tomber, ses enfants qui sont partis vivre à l'étranger. Il ne lui reste plus grand-chose, à part sa grande maison et son petit Arsen, son beagle.

Impossible, je ne pourrais pas m'y faire : raconter mes petites histoires, expliquer des choses que je sais déjà, comme je le ferais à quelqu'un qui ne me connait pas, c'est vraiment étrange. Ce serait peut-être plus facile si j'avais l'impression que tu étais une personne. C'est ça, une personne. Tu serais en quelques sortes mon psy gratuit : aussi causant qu'un psy, et sans doute aussi inutile... Hadner, ça fait un peu allemand, tu seras Hadner (je préfère te donner un nom que de t'appeler docteur, ça fait moins folle quand même), psychanalyste de renom, toujours disponible pour moi. Je suis ridicule !

C'est son psy justement, à Anne, qui lui a conseillé d'écrire un journal intime. Il paraitrait que ça créé une présence rassurante, une écoute inconditionnelle, sans jugement, sans parti pris. Anne en écrit un depuis déjà deux mois, et elle dit que ça lui fait du bien. C'est vrai qu'en ce moment ça me ferait du bien de parler sans être jugée, sans que mes paroles soient interprétées ou retournées contre moi. Alors voilà, j'ai suivi les conseils de mon guide dans la souffrance, j'ai commencé à t'écrire, Hadner (c'est pas sûr que je m'habitue à t'appeler comme ça, ce n'est pas très naturel quand même... Heureusement que personne ne lira ce torchon parce que ce serait un cas d'école pour un vrai psy !).

Quitte à se lancer, autant y aller à fond, je vais tout t'expliquer. Lorsqu'Anne m'a parlé de ses séances chez son psy, je me suis dit que c'était la moindre des choses, qu'elle y aille : forcément, avec la vie qu'elle a (ou plutôt qu'elle a eue, je ne suis pas sûre que l'on puisse vraiment parler d'une vie aujourd'hui). Moi, avec mes petits soucis de pas grand-chose, je n'ai jamais vraiment réussi à la rassurer ou à l'aider à remonter la pente, son malheur me fait presque peur. Pourtant, je n'ai pas arrêté de penser à ce conseil qui lui a été donné : écrire pour mieux comprendre ce qui ne va pas, pour mettre à plat, comme pour lister les problèmes et peut être aussi les relativiser. J'en ai mis du temps, avant d'en venir à t'écrire... C'est devenu comme un mantra depuis plus d'un mois : « faudrait quand même que j'essaie cette histoire de journal ». Dès que j'avais quelques minutes, je jetais un œil sur Amazon pour trouver un beau cahier, avec un look un peu ancien, un peu précieux, un peu secret. Attention, je ne suis pas une petite fille, je ne cherchais pas ces cahiers intimes avec un cadenas en forme de cœur !

Je cherchais un cahier qui soit à la fois facile à cacher (vraiment hors de question que qui que ce soit y mette son nez), et attirant, qui me donne envie d'écrire dedans. Sur Amazon, je n'ai rien trouvé. Si j'avais raconté ça à ma fille, elle m'aurait sans doute répondu : « C'est juste pas possible, sur Amazon, y'a juste TOUT ! ». J'exagère un peu sur son usage abusif de « juste », mais à peine un peu. Bref, j'ai fini par me rendre en ville, dans une papeterie, le genre de magasin en voie de disparition : pas une chaîne, pas un rayon papeterie de supermarché, une vraie papeterie, avec en rayon un père et sa fille qui conseillent les clients (peu nombreux forcément) et qui mettent des ramettes de feuilles et des stylos à l'unité en rayon, et à la caisse la mère. Au début, j'ai hésité avant de rentrer. Pas toujours très engageant de rentrer dans un magasin comme celui-là, ça donne pratiquement l'impression de rentrer dans la maison des gens. Carrefour, la Fnac, et toutes ces grandes enseignes, ont tellement rendu les vendeurs anonymes, transparents, qu'on n'a jamais l'impression de gêner personne, ni d'être vu par personne, ni d'avoir laissé une quelconque trace.

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⏰ Last updated: Mar 28, 2020 ⏰

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