1. Viens, viens me voir...

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Les lieux étaient silencieux. Extrêmement silencieux.

En omettant bien sûr l'appel spectral qui s'élevait de temps à autre de la cave et que Benedict était probablement le seul à entendre.

« Hoc adsis, hoc mihi adsis... Tibi magnam arcanam docturus sum scientiamque occoltam. Confide in me... » blablabla. Apparemment, la voix promettait des savoirs occultes, et d'innombrables richesses, à qui viendrait l'écouter d'un peu plus près.

Le tout dans un épouvantable latin de cuisine. Ce genre de marché étant rarement digne de confiance, Benedict fit mine de ne pas entendre, regardant plutôt nonchalamment autour de lui d'un air innocent.

Cette bibliothèque était spacieuse et bien fournie, elle sentait bon le bois ciré et un peu moins bon la concentration. Quant à ses membres, sagement assis, ils obéissaient scrupuleusement au panneau :

« SALLE DE LECTURE : VEUILLEZ RESPECTER LE CALME ET LE SILENCE ».

Un homme distingué et barbu referma doucement son livre. Il se leva ensuite sans un bruit pour s'éloigner d'un pas leste tout en parvenant à ne pas faire grincer une seule fois le parquet. Benedict l'observa faire, impressionné.

Il ne maîtrisait pas cette technique de déplacement. D'un naturel anxieux, il espéra sincèrement qu'il ne s'agissait pas d'un prérequis pour être autorisé à fréquenter les lieux...

Puis la bibliothécaire qui l'avait laissé en plan revint enfin à son guichet.

Oubliant de refermer derrière elle la porte vitrée qui les séparait de la salle de lecture, elle replongea précipitamment le nez dans ses fiches. Elle savait déjà que celle qu'elle cherchait n'était pas là, mais elle avait besoin de retarder le moment où il faudrait l'avouer à voix haute.

Au bord de la crise d'angoisse, elle tourna et retourna nerveusement les petites feuilles cartonnées. Ses doigts de plus en plus moites collaient au papier et à l'encre. Comme pour échapper à ce contact désagréable, un bon tiers du paquet tenta de s'enfuir et finit par s'éparpiller brusquement au sol.

Depuis la salle de lecture, de nombreuses têtes se levèrent pour la foudroyer du regard comme si elle venait de faire s'écrouler une pile de casseroles. Benedict déglutit. Ici, on ne rigolait pas avec le SILENCE.

Pestant intérieurement contre elle-même, la bibliothécaire soupira, s'interrompit pour aller fermer la porte puis revint s'accroupir pour tout ramasser, évitant toujours soigneusement le regard du jeune homme.

Non, elle n'était pas une personne maladroite, encore moins incompétente. Caroline était une excellente bibliothécaire. Organisée, zélée, elle était également dotée d'une mémoire exceptionnelle.

Son seul souci c'était cette terreur inexplicable qui la prenait à chaque fois qu'elle devait interagir avec un inconnu. Voilà pourquoi le directeur l'avait installée à cette section : les ouvrages consacrés au surnaturel n'étaient franchement pas les plus souvent demandés...

Après avoir ordonné une pile de fiches sur le comptoir, elle esquiva à nouveau le regard de Benedict pour consulter une énième fois le registre d'emprunt. Et enfin, résignée, elle prit une douloureuse inspiration pour annoncer :

« J-j-je suis d-désolée monsieur. I-i-il n-n-n'est-n'est pas disponible non plus. J-j-je-je suis désolée... »

Normalement, ce n'était pas grave.

Mais avec les clients on ne sait jamais à quoi s'attendre. Elle connaissait plus d'un sadique qui s'amusait à la mettre mal à l'aise pour pouvoir ensuite se plaindre de son bégaiement, de son incompétence, douter de sa santé mentale ou faire les trois à la fois. Or, elle avait cru remarquer qu'elle en attirait pas mal, des sadiques...

Un Fantôme de Bon Goût (The S.I.D.H.E.)Where stories live. Discover now