l'Unique Chapitre

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Je me souviens de cette nuit-là, le bruit du silence était couvert par le tic-tac incessant de l'horloge qui tournait et une fine brise d'été entrait par la grande fenêtre et s'aventurait dans la pièce. Mes yeux étaient grands ouverts et observaient, malgré l'obscurité, les quatre recoins de mon unique pièce de vie. J'avais beau essayer de dormir, Morphée ne semblait pas vouloir de moi. A vrai dire, j'étais habitué à ne pas parvenir à trouver le sommeil. Les insomnies ne me lâchaient plus depuis bien des années, mais je me couchais tout de même dans mon lit tous les soirs, fermant les yeux et priant pour la clémence des Dieux qui ne semblaient pourtant jamais m'entendre.
J'avais poussé un souffle d'exaspération, et en reposant mes pieds sur le sol froid, un frisson avait parcouru mon échine. Je fixais le plancher abimé en reprenant mon souffle. Mon cerveau fusait.
Finalement j'avais attrapé mon portefeuille, mes clefs, enfilé mes chaussures et quitter mon appartement.

Écouteurs aux oreilles, je parcourais les trottoirs sans but précis, à part, peut-être, celui de remplacer le brouhaha dans ma tête.
Du haut de mes vingt-et-un ans, je n'avais pas encore trouvé de sens à ma vie. Je travaillais comme serveur dans un café pour payer le loyer de mon appartement et j'écrivais des chansons que je vendais pour arrondir mes fins de mois. Pourtant j'avais horreur de la routine, ce cache-cache sordide que je vivais tous les jours, et surtout, je n'avais rien au bout qui me poussait à continuer. Je me trouvais lâche, enfaite, de n'avoir ni la fois de vivre, ni la force de mourir.

Cela faisait bientôt quarante minutes que je déambulais dans les rues. La musique résonnait tellement fort dans mes oreilles que je n'en avais pas entendu le jeune homme trottiner derrière moi avant qu'il ne me tapote l'épaule. J'avais été pris d'un sursaut discret, presque imperceptible, puis je m'étais retourné lentement, sans prendre la peine de retirer mes écouteurs. Il y avait un adolescent en face de moi, il semblait articuler quelque chose. Il n'avait pas l'air dangereux, bien au contraire. Il était vêtu d'un pull-over jaune, long et large qui couvrait le haut de ses cuisses, et d'un short noir qui s'arrêtait juste avant ses genoux. Ses pieds portaient de longues et haute chaussettes blanches, surélevées de baskets de la même couleur. Des mèches noires retombaient sur ses yeux brillants tandis qu'il affichait un sourire poli.

J'avais alors retiré mon écouteur avant de lâcher quelque chose comme « Mec, j' n'ai rien entendu, tu peux répéter ? »

Il me demandait l'heure. J'avais sorti mon téléphone et je lui avais donné. Il s'était contenté de se courber rapidement de quelques centimètres en signe de remerciement, croiser une dernière fois mon regard et rebrousser chemin. Moi, je l'avais observé s'en aller, s'appuyant plus longtemps sur un pied que l'autre, il boitait.

Tu sais, au moment où sa silhouette a commencé à disparaitre dans l'obscurité, le moment ou le silence a repris le dessus, je me suis demandé si je voulais qu'il ne soit plus qu'un souvenir, encore. Puis dans un oscillement, une fluctuation du temps, j'ai fait un pas en avant.

« Jeongguk ? », j'avais prononcé, hésitant. Et son rire avait envahi l'espace, comme la première note d'un concert symphonique.

« Je pensais que tu ne me reconnaîtrais pas. »

Il s'était tourné face à moi, un grand sourire enjolivant son visage. Mais je ne lui avais pas rendu.

« Tu as changé. » J'avais malgré moi un ton accusateur, je crois que je lui reprochais de ne plus se ressembler.

« Toi, tu es toujours le même. »

Il s'était rapproché de moi, toujours boitant, et le vide semblait moins pesant. Je crois que c'est à ce moment qu'il avait perdu son sourire, quand je lui ai dit de rentrer chez lui et que c'était dangereux de se balader seul, la nuit. Il n'avait pas envie de rentrer, moi non plus.

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