Le vieil homme et la Vue.

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  J'ai toujours eu peur du noir. Cela remonte à l'enfance, je pense. Le premier souvenir traumatisant était un simple cauchemar. Je courais dans un couloir à perdre haleine, certain de pouvoir trébucher à tout moment, un monstre ruant derrière moi. Une porte que j'ouvre le plus vite possible, je me précipite à l'intérieur et chute dans un vide noir sans fond. Le réveil fut plus dur, car il s'agissait de mon plancher. J'ai traîné la bosse sur mon front pendant une semaine, au grand plaisir de ma fratrie, désormais sujet de toutes les blagues les plus originales et les plus hilarantes (sarcasme, certes, mais pour leur défense ils étaient jeunes).

   Une autre cocasse anecdote (comme s'amusait à l'appeler mon père) fut le jour où j'ai failli mourir. Mon grand-père m'avait emmené à la pêche, ce qui était sans nulle doute la plus excitante et la plus renversante aventure jusqu'à cette lame qui m'apprit que nager dans le petit étang du village et la mer n'étaient définitivement pas la même chose. Alors que je sombrais comme une masse et que le noir se refermait sur moi, j'ai vu une ombre passer. Je me suis réveillé dans mon lit et suis resté cloué pendant plusieurs jours à cause d'un mal de mer ne me lâchant pas, le roulis constant dans mon estomac me forçant à rester au port.

   Ayant grandi, mes parents me firent vite comprendre que mon assiette ne se remplirait pas toute seule. Je trouvais donc un travail dans la mine, car c'était ce que les jeunes bien portant mais n'ayant pas lu Hemingway faisaient dans la vie. Je me suis même fait des amis ! Ce n'était pas la meilleure des vies, mais c'était la mienne. Jusqu'au jour où il y eut un accident, et j'ai failli la perdre. Après plusieurs heures dans le noir, et plusieurs coups de pelle de braves hommes, mon ami Arthur et moi décidâmes qu'il valait mieux donner quelques coups de bêches dans la terre et partirent pour d'autres contrées.

   Il y eut des années dures, et d'autres plus faciles. Mais j'ai toujours eu peur de la nuit. Mon compagnon de fortune l'a sans doute noté, mais jamais mentionné. C'est sans doute pour cela que, lorsqu'il fallut prendre une maison pour avoir une situation stable, l'idée d'avoir une chambre côté route ne l'a jamais dérangé. De cette manière, même dans la nuit la plus obscure, une voiture finissait par passer, éclairant par la fenêtre la petite pièce de ses phares.

   Je pensais avoir battu l'obscurité, mais j'étais idiot. Et ça, je ne l'ai que mieux compris un matin, lorsque la nuit ne me laissa comme seul souvenir le corps froid d'Arthur. Depuis, je l'attends.

   J'ouvre les yeux : le noir complet. Faut-il vraiment que je me réveille à des heures indues ? Exaspéré, je tourne ma tête vers mon radio-réveil. Éteint. Une panne de courant ? J'espère qu'ils n'ont pas juste coupé l'électricité parce que j'ai tardé à payer les factures, ces gens sont vraiment des requins. Je soupire, et me relève difficilement, en faisant craquer mes articulations (malgré moi). Il va falloir que j'aille vérifier le compteur, dehors, et ça, sans me casser de...

BI-BI-BIPP ! BI-BI-BIPP !

   Je sursaute. J'entends l'alarme et appuie plus machinalement que consciemment sur l'appareil pour stopper le bruit strident. Puis me fige. Rien, toujours rien, le noir complet. Quelles sont les chances pour que toutes les diodes du réveil aient grillé mais qu'il soit toujours en état de marche ? Ça, et le fait qu'il y ait une éclipse à ce qui semble être sept heures du matin en plein mois d'août ?

- Très peu, j'en ai bien peur.

- Qui a dit ça ?!?

   Une voix un peu enfantine s'était élevée dans la pièce, mais il m'était impossible de la situer.

- Moi, Monsieur.

- Qui êtes-vous, et que faites-vous chez moi ?

- Je m'appelle Proprio, Monsieur. Techniquement, je ne suis pas chez vous, je ne suis qu'une projection mentale de votre propre sens, continue la voix monocorde, comme récitant une leçon.

Le vieil homme et la Vue.Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ