Chapitre 28 ; Comme un lundi

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Demain, c'est la rentrée. Probablement la dernière de ma vie. Je devrais me sentir presque nostalgique ! Presque.

J'ai tout de même envie de faire quelque chose de spécial, mais quoi ? Tout le monde a déjà repris le travail et je n'ai pas particulièrement envie de rester chez moi à regarder les plantes pousser.

J'ai lu ce matin que la liberté, c'est d'être seul, jeune et inconnu. J'imagine que cet homme doit être marié, vieux et célèbre, mais je le remercie tout de même pour l'élan de motivation et décide d'en profiter puisque je réunis (selon lui) tous les prérequis à ma si chère LIBERTÉ !

Décision prise d'aller me balader.

D'abord ; choisir un quartier. Aujourd'hui, j'ai une envie de Montmartre, envie de prendre un peu de hauteur, et puis je peux y aller à pied depuis chez moi. Deuxièmement, choisir des chaussures confortables : mon choix se porte sur mes bottines noires à talon carré, mes préférées. Je les accommode d'un épais collant noir et de mon sweat Mickey, qui est si grand que je le porte en robe, et m'en vais vaquer, le nez au vent, déterminant au dernier moment quelle rue emprunter.

La température est agréable et le quartier presque désert en ce lundi de septembre. J'ai le plaisir de flâner, d'entrer dans les boutiques sans rien acheter, de regarder la carte des brasseries et faire mine de ne pas être satisfaite. À chaque coin de rue, j'examine la plaque et le nom qu'elle porte avant de choisir mon itinéraire. Bon, il est vrai que le hasard n'est pas entièrement responsable du fait que je me retrouve par curiosité mal placée en haut de la rue Lepic, plantée devant l'immeuble d'Ezra. Je ne m'y attarde guère longtemps, il faut dire que j'ai refusé ou reporté chacune de ses demandes depuis nos retrouvailles de juin et je ne suis même pas certaine qu'il habite encore ici. Mais voir cette entrée d'immeuble me rappelle d'un coup l'odeur de son parfum que je n'aimais pas du tout. Un truc mentholé, poivré, qui collait à la peau.

Je passe mon chemin pour arriver sur la si pittoresque place du Tertre. Je jette un œil intéressé sur les taches de couleurs que les artistes superposent sur des toiles tendues ; l'ambiance vieux Paris, le Chat Noir, Mucha, j'adore. Pour une fois, je n'ai pas envie d'aller m'aventurer dans l'église du Sacré-Cœur et redescends directement vers Blanche. Cela fait bien une heure que je me promène quand l'envie d'un cappuccino se fait sentir. Je m'assois à la terrasse d'un petit troquet, à deux pas du célèbre Café des Deux Moulins. C'est là, le nez trempé de mousse de lait que je trouve l'idée parfaite pour célébrer cette journée. Me faire tatouer.

Moins de dix minutes plus tard, je passe la porte du salon de tatouage le plus proche. Mon visage s'égaille en réponse au sourire sympathique et décontracté que je reçois du jeune homme à l'accueil. Il y a aussi trois types assis plus en retrait, derrière des ordinateurs. Ils se mettent à pouffer de rire comme des ados au moment où mon interlocuteur se retourne et dit : « Fred, je sais pas ce que t'en penses, mais j'ai bien l'impression que c'est ton style. » Parle-t-il du tatouage ou de moi ? Son sourire malicieux et les rires étouffés m'autorisent à me poser la question.

En cette douce après-midi de septembre, veille de la toute dernière rentrée scolaire de ma vie, je m'étais organisé un programme calme et bon enfant.

Ce que j'avais prévu, c'est de me balader dans un quartier que j'aimais bien, pour flâner, peut-être m'arrêter boire un cappuccino ou un verre de vin. Regarder les affiches au cinéma et les cartes des brasseries pour comparer le prix de leur steak tartare. M'arrêter reprendre mon souffle en haut des marches, regarder Paris depuis le parvis du Sacré-Cœur, prendre en photo un pigeon roux, peut-être acheter des fleurs.

Ce que je n'avais absolument pas prévu, c'est de croiser le regard de Fred et d'instantanément voir au fond de ses yeux qu'une aventure nous attendait.

À l'instant où son visage est apparu de derrière l'écran, j'ai compris qu'on était foutus. 


Je m'efforce de dissimuler mon trouble en lui expliquant ce que je souhaite me faire tatouer. Je suis venue avec une idée plutôt précise en tête, mais je me laisse volontiers guider par ses recommandations. Je le surprends à rougir au moment où je remonte mon pull pour lui montrer l'endroit où je souhaite qu'il me tatoue. Je rougis à mon tour quand sa main froide effleure la peau sensible de mes côtes.

Nous convenons d'un premier rendez-vous dans quinze jours, il note mes coordonnées, je lui demande son numéro.

Seul le feulement de Robert Plant provenant des enceintes brise l'omerta qui règne dans le salon. « I gonna give you my love ».

Nous avons deux semaines de répit avant de nous revoir.

Sur le chemin du retour, je m'arrête au Comptoir. André tire une tête d'enterrement. Il m'annonce dans la même phrase qu'il a trompé Sandrine la veille en boite et que Thierry a vendu le bar.

Pour un lundi calme...


LoveWhere stories live. Discover now