•Chapitre 3•

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Sur la rangée la plus basse de l'immense amphithéâtre où régnait un brouhaha grandissant, les élèves de dernière année semblaient s'être mués en une rivière d'or. La masse grise et bleue formée par le reste de la population qui remplissaient les sièges de la Salle Supérieure semblait baigner dans son lit, telle un affleurement informe. À chaque extrémité de cet or, je trouvais Aliéna et Tion. Ils fixaient l'estrade, droit devant eux.

Je les avais immédiatement remarqués alors même qu'ils se fondaient parmi leurs camarades revêtus de doré. Il y avait quelque chose dans leur façon de se tenir, et dans la manière dont la lumière se déposait sur leur peau : on aurait dit qu'elle les illuminait de l'intérieur. Depuis mon point d'observation privilégié, en haut d'une des immenses colonnes ornées de bas-reliefs qui soutenaient la voûte, je sentais la puissance de leur détermination faire frémir l'atmosphère autour de moi. Rien ne pouvait les arrêter, au moins c'était clair.

Les conversations s'estompèrent à mesure que le Soleil s'élevait à la verticale de la verrière : quand le pupitre central n'aurait plus d'ombre, l'Apothéose commencerait. 

Cet instant arriva et ce fut comme si on commençait à jouer une partition réglée au millimètre. Les portes, de part et d'autre de l'immense ouverture à double-battants face à la salle, s'ouvrirent sur des silhouettes recouvertes de capes immaculées. Ces hommes au visage plongé dans l'ombre marchaient en cadence, grimpant sur l'estrade avec une attitude transpirant l'orgueil et l'honneur que représentait pour eux cette Apothéose.

Pour certains de ces Guides, c'était la première fois qu'ils exécutaient ce rituel sacré et cela se ressentait dans la fébrilité qui agitait leurs doigts. Toute la salle avait concentré son attention sur la rangée de treize personnes qui se formait sur l'estrade. Le silence ambiant ne s'étira pas plus longtemps : l'Apothéose commença avec la litanie des Guides.

— Que les Hommes de Vitam soient remerciés, que les âmes d'Æternam soient honorées, que les êtres de ce Monde s'unissent dans la plus belle des harmonies : Intelligence, Valeur et Vérité.

L'entièreté de la salle répéta la devise à l'unisson, dans un chœur d'une sonorité si particulière qu'elle remuait quiconque de toutes ses entrailles.

— Le peuple appelle le Prêtre : qu'il sache les guider au travers de toutes les épreuves, de tous les dangers, car il est, le Peuple.

L'assemblée prononça les formules de rigueur : « Que le Prêtre vienne à nous, pour nous mener au travers de toutes les épreuves, de tous les dangers. »

L'atmosphère qui régnait me faisait frissonner : tant de dévotion, d'émerveillement face aux paroles qu'on leur faisait scander, cela m'échappait. Que l'on puisse ressentir de pareilles émotions face à un événement comme celui-ci m'était totalement étranger. Je n'étais pas la seule effrayée par ces traditions : les deux jeunes gens que j'étais chargée d'observer ressentaient un sentiment similaire au mien : un effarement mêlé d'un dégoût profond pour ces mots sans queue ni tête.

Cependant, ce ressenti n'était que sous-jacent par rapport à la puissance de ce qui les amenait vraiment ici. Leurs esprits étaient occupés par une volonté grandissante que toutes ces broutilles fussent finies pour enfin être témoins du « clou du spectacle » : l'arrivée du Prêtre.

Heureusement pour eux, cela ne tarda pas.

Les Guides se turent tout comme le reste de la salle, mais le silence était bien plus épais que le précédent : comme une couette, il semblait étouffer tous les mouvements, tous les sons, tout ce qui aurait pu interrompre l'événement qui animait les cœurs plus que tout le reste de l'année. Chacun retenait sa respiration, comme s'il ne fallait pas déranger le dirigeant avec un besoin de survivre, si futile. Comme si leurs vies valaient moins que les précieux instants qu'il leur accordait en venant dévoiler son visage chaque année.

Le Pouvoir des Mots |Tome 1 : Aliénation|Where stories live. Discover now