Fou.

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C'est le coeur lourd que j'écris ce soir. Il ne fait pas encore nuit, le soleil s'apprête, dans peut-être une heure ou plus, à quitter notre ciel pour celui des autres, là-bas, loin d'ici. 

Coeur lourd certes, mais aucun chagrin, aucune larme, rien de tout cela, rien d'affligeant. Seulement du fatalisme. Les yeux de mon coeur regardent les choses en face, sans filtre, sans voile, tel qu'elles sont. 

Que voient-ils . Rien, justement rien. Rien ne se profile à l'horizon. Il y a encore un an, deux ans même, peut-être trois ! ces yeux voyaient quelque chose : d'autres yeux. Ceux d'un autre coeur, ils, les deux paires d'yeux, s'aimaient, s'embrassaient et se fermaient souvent en même temps pour se rouvrir ensemble, au même moment que le soleil. Désormais, il n'y a plus rien. Même pas u halo de lumière pouvant laisser croire à une once d'espoir. Il n'y a rien a voir, contempler, observer, apercevoir ni même entrapercevoir. 

Peut-être ces yeux ont trop vu ? Ont été trop exposés à toutes sortes de bonheurs, de lumières, d'yeux étrangers ? Peut-être sont-ils devenus aveugles ? Et ne verront plus jamais rien ? La faute à qui ? À un cerveau trop bien fait qu'il en est devenu incompréhensible, trop plein, mal fait au final. 

Un cerveau parfois trop érudit qu'il en devient lassant pour les autres ne parvenant pas à l'atteindre. Tellement érudit, tellement rempli de choses et de capacités inutiles ! Tellement érudit, c'est le plus triste, qu'il semble avoir laissé de côté les fonctions premières ou disons les plus importantes : aimer et être aimé. Alors que, chacun le sait, c'est là, dans ces deux fonctions, que se trouvent l'un des secrets d'une vie réussie parce qu'heureuse. Un cerveau capable de se souvenir de détails de vie futiles qu'ils ont finis par être gravés, parfois avec la précision d'un horloger suisse. Des souvenirs si détaillés que, ce cerveau paraît revivre, comme le mourant avant de mourir, toute sa vie en venant à une conclusion sans appel : cette vie est - déjà - finie. Il est pourtant encore trop tôt. Capable aussi de connaitre des détails minuscules de la vie des autres. À quoi cela peut bien servir de savoir que Soljenitsyne, lorsqu'il était emprisonné, se répétait tous les jours le roman qu'il allait écrire à tel point que le jour lui manquait pour y parvenir ? À rien. À rien mais ça fait bien, ça fait joli, mais ça ne fait pas aimer, ça ne permet pas non plus d'être aimé. 

Il y a donc un coeur dans le néant, dans le noir le plus complet. Un cerveau trop plein d'un tas de rien et un corps seul dans un lit. Enfin presque. Une dizaine de bouquins l'entourent, prêts à être lus. C'est bien les livres, c'est même très bien, c'est un refuge voire un réconfort. Ça redonne foi en la vie, ou bien ça redonne un coup de désespoir jovial, ça permet de se dire qu'il y a pire que soi, mais aussi mieux que soi. Mais un livre ne redonne pas vraiment des yeux à fixer pour le coeur, ni un cerveau avec lequel on peut partager une vie de parvenu faite de souvenirs de temps en temps trop lourds à porter. 

Et dire qu'il y avait encore cela il y a quelques ans. Point de nostalgie concernant la personne qui était là, elle a fait ses choix, je doute qu'ils aient été bons mais je le lui souhaite malgré tout. Point de nostalgie donc, si ce n'est celle d'avoir eu quelqu'un et d'être, à présent - peut-être à jamais ? - seul. 

Une crainte nait et se renforce à mesure que le temps passe. Celle d'avoir un destin à la Kerouac, à la Salinger, à la Hemingway, à la Fitzgerald ou même à la Baudelaire. Un destin gangrené par la solitude. Un destin qui fait écrire aux autres, comme ils ont écrit il y a quelques années "Mort pour la France !", "Mort pour l'Amour, Mort de Solitude.". Je crains, malheureusement, devoir annoncer aux yeux de mon coeur qu'ils ne verront plus. Aux neurones de mon cerveau qu'ils ne se déchargeront pas, même le temps d'une minute. Qu'à défaut, ils fermeront boutique - tôt ou tard, j'ai ma préférence là-dessus - par cause de solitude, comme d'autres par arme à feu ou arme blanche. 

C'est quand même fou d'avoir grandi si vite, d'avoir l'impression qu'on a sauté, dépassé sa jeunesse en une minute. D'être passé de l'enfance à l'âge adulte en un rien de temps, sans avoir rien vu et de se sentir vieux, très vieux même. D'être passé en quelques mois seulement de la folie amoureuse à la folie solitaire.  D'autant plus fou qu' "on à la vie devant soi !". C'est aussi très égoïste de se dire "Je l'ai devant moi, mais je n'en veux plus ! Prenez la moi, je n'en ai pas beaucoup l'utilité et je n'en ferai pas grand chose.". Et, il faut bien l'avouer, c'est très prétentieux de se dire qu'on sait tout, qu'on connait tout... Peut-être cette vantardise est le dernier vestige d'une jeunesse trop vite passée ? 

"Si le coeur vous en dit..." prenez le temps de fixer les yeux du mien. De me décharger, un temps seulement, d'une vie déjà ridée. Si cela ne vous convient pas, alors prenez l'existence, la mienne, dans ce qu'elle a de chances et d'errances. "C'est vous qui voyez, je ne vais pas vous forcer la main."

"Et avec ceci ?" 


Jérôme Vaudreuil 

29/6/20             

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⏰ Last updated: Jun 29, 2020 ⏰

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