5. Crise

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Le lendemain matin


Mon deuxième jour de cours.

J'arrive en trombe dans mon lycée. Je permets immédiatement à mes yeux de voir les âmes autour de moi afin de retrouver la seule qui m'intéresse.

Elle est là.

Elle discute avec quelques amies, j'approche doucement et pose une main sur son épaule pour attirer son attention. Elle se retourne, me voit, me regarde, me sourit.

- Salut ! Comment tu vas ? me demande-t-elle, tout simplement.

Une phrase commune et pourtant si attentionnée. Elle me demande comment je vais, moi, Satan. Personne ne pose jamais cette question aux Enfers. « Tu es là, je vais mieux que jamais. » ai-je envie de lui répondre. Mais je me contente d'un minuscule :

- Bien... et toi ?

- Pareil.

- Au fait, je voulais te remercier de m'avoir intégré hier...

Elle m'a présenté à tout un tas de monde et ne m'a jamais laissé seul. Ça ne m'aurait pas blessé de rester à l'écart, mais le presque adulte dont je joue le rôle, si. Dans tout les cas, c'est très attentionné de sa part.

- Il n'y a pas de quoi, c'est normal.

Ça dépend pour qui. Ça dépend où. De là où je viens, de la part des personnes avec qui je vis, ce n'est pas « normal » d'aider les autres.

- Du coup, je me suis dit que je pourrais t'inviter à la fête que je donne samedi... C'est pour célébrer mon arrivée en ville, la fin de mon installation, quoi. Il y aura des gens du lycée et des personnes de mon ancienne ville. Ça te tente ?

- À fond ! Je dois seulement demander à mes parents, mais je pense que c'est bon pour moi.

Ne t'inquiète pas qu'ils accepteront... Je sais me montrer convainquant.

- Je te transmets l'adresse par message.

- Ok, merci. Ce sera chez toi ?

- Oui.

- Cool !

- Merci encore d'avoir accepté.

- Avec plaisir.

Je lui fais un dernier signe de la main puis me dirige vers le bureau du directeur.

J'ai légèrement menti : la fête est (secrètement) en son honneur à elle. Quelques Démons métamorphosés feront l'affaire pour les « personnes de mon ancienne ville ».

La cloche sonne et je ressors du quartier de l'administration avec un nouvel emploi du temps : j'ai manipulé ce vieux monsieur afin qu'il me donne exactement les mêmes cours et options qu'Alexia. Je veux passer le plus de temps possible avec elle...

J'ai l'impression qu'elle m'aime bien... Vous me direz que, puisque nous sommes une paire d'âmes sœurs, c'est logique qu'elle m'"aime" mais elle, elle n'a aucun pouvoir. Aussi de son côté, si je n'ai pas de chance, ça risque de prendre un peu de temps.

Je pense avoir atteint la catégorie « sympa » dans son esprit. En même temps, ce n'est pas si difficile que ça. Face à des adolescents immatures, j'ai toutes mes chances. Et puis, j'ai toujours eu la classe, moi ! (Sauf le jour où je me suis fait jeter en dehors des Cieux mais ça, ça ne compte pas.)

Alexia et moi (les autres ont s'en fout de toute façon) avons une heure de libre ce matin et je lui propose de sortir faire un tour.

Elle accepte, comme toujours un grand sourire sur ses lèvres parfaites, et nous commençons à marcher vers le parc.

- Je peux te demander quelque chose de personnel ?

- Vas-y, me répond-elle.

- Est-ce que tu crois en Dieu et Satan, les Anges et les Démons ?

- Je suis baptisée, mais mes parents ne sont pas pratiquants alors je ne l'ai jamais été non plus. Cependant, j'ai besoin de croire qu'il y a quelque chose au-delà de la vie, j'ai besoin de croire qu'un jour, je pourrais retrouver ceux qui sont morts. Alors, oui, d'une certaine manière, je crois en tout ça. J'en ai besoin.

- Tu as déjà perdu des proches...

- Oui. Et j'ai besoin d'avoir l'espoir de les revoir un jour.

- Ça ne me dit pas si tu pries Dieu ou Satan.

Je connais déjà la réponse mais je veux la faire sourire, et ça fonctionne. Je sais que dans le monde certains groupes me prie, moi, (désolé mais je n'y suis pas très attentif), mais je me doute qu'elle n'en fait pas partie.

Elle rigole et ne me répond pas. Mon objectif est atteint : alléger l'atmosphère. La mort n'est pas un sujet facile pour les humains.

- Sinon, tu comptes faire quoi comme métier plus tard ?

- Infirmière. Le contact humain dans ce métier est incroyable. Et puis je pourrais aider les autres !

JE SUIS TOMBÉE SUR UNE SAINTE C'EST PAS POSSIBLE ! Il m'a vraiment collé l'âme la plus pure qui soit... J'hallucine... Il a quoi dans la tête Cupidon ?

- Et toi ?

Shet. C'était pas prévu qu'elle me retourne la question. Je suis censé répondre quoi ?

« Infirmier pour rester avec toi, même au boulot » ?

« Tortionnaire parce que je suis sadique » ?

« Chef de prison privé pour recréer un semblant d'Enfer » ?

Ou alors « J'ai déjà un boulot aux multiples facettes : je suis Roi des Enfers à plein temps » ?

Il me faut quelque chose de crédible ! Vite.

- Juge. Pour punir ceux qui le méritent.

Bon, c'est une partie de mon boulot aussi. Je ne mens pas.

- Noble cause, commente-t-elle.

- Dixit celle qui veut aider les autres.

Elle sourit de nouveau et je me perds dans ses yeux d'émeraudes...


Nous reprenons finalement la route du lycée. Je la laisse marcher quelques pas devant moi, perdu dans mes pensées.

Il faut à tout prix que je lui cache qui je suis réellement. Si elle l'apprend, elle fuira. Elle est trop fragile pour que je l'expose à la vérité.

Dans les couloirs, je joue des coudes pour rejoindre notre salle tandis qu'elle se faufile aisément entre les corps. Elle est douée en tout ! Même en traversage de foule (nouvelle discipline très compliquée que je viens d'inventer).

Je ne la quitte pas des yeux. C'est ainsi que je remarque le geste très déplacé de la part d'un lycéen de terminale profitant de la foule. Je crispe les poings.

Il a osé. Il. A. Osé. Je bouillonne. Il va apprendre à la respecter, oh ça je vais lui faire payer ! La propriété du Diable n'appartient qu'au Diable.

Elle s'est retournée et lui fait la morale. Il sourit d'un air pervers, absolument pas concerné par ses paroles. Alexia s'éloigne et continue sa route, je ne vois pas l'expression sur son visage mais j'essaierai de lui parler plus tard.

Moi, je m'arrête face au type et lui met un coup dans l'estomac. Il se plie sous l'impact et grogne. Mes yeux brillent de rage.

Les personnes autour de nous s'écartent pour observer la scène (et accessoirement pour s'éloigner de moi, histoire de ne pas être un dégât collatéral).

- Qu'est-ce que tu me veux, mec ?

À son avis ? Ça se voit que je ne veux pas lui rouler une pelle, non ? Je suis là pour le punir, comme tout bon Roi des Enfers se le doit.

- T'apprendre quelque chose.

J'attrape ses doigts d'une main et lui en brise trois d'un mouvement sec. Maintenant il hurle, vraiment. Ça me rappelle les cris des Damnés aux Enfers... Je lui plaque le torse contre le mur. Je m'approche de son oreille et murmure :

- On ne touche pas aux filles si elles n'en ont pas envie.

Je regarde par-dessus mon épaule et remarque que mon âme sœur est déjà loin, elle monte l'escalier sans se retourner. Elle n'a rien vu : parfait.

Je retourne ma victime, saisi par le col ce salaud et le jette contre le mur d'en face. Je m'approche à nouveau de lui, il tente de fuir, de ramper loin de moi. Mais personne ne peut m'échapper.

Je le maintiens au sol d'une main et assène des coups de l'autre. Je me retiens. Il ne faudrait pas non plus que les autres se rendent compte que je ne suis pas humain.

Je lui mets encore un coup dans la mâchoire, puis le lâche sous les regards effrayés des lycéens qui nous entoure. Si je continue encore, mon envie de le tuer sera trop forte pour que je puisse encore y résister.

- NE LA TOUCHE PLUS JAMAIS ! OU JE TE TUE. C'EST CLAIR ?!

J'ai pété les plombs. Je rassemble le peu de conscience qu'il me reste et m'éloigne.

Je suis comme fou. Mes yeux en témoignent : il y a cette petite lueur fébrile, tout au fond, cet éclat encore plus sombre. J'ai la folie du Mal, de la douleur, de la vengeance. La folie de la violence.

J'ai toujours été trop violent. Beaucoup trop violent. Au point qu'on m'a chassé des Cieux.

J'ai toujours eu en moi ce côté fou qui m'a séparé des autres Anges. Ce côté trop sombre pour avoir le droit d'être comme les autres.

Il ne faut pas qu'Alexia voit ce côté-là. Ou elle va me fuir. Me rejeter. Comme tout les autres.

Mes poings sont en flammes. J'arrête de courir et me laisse choir contre le mur le plus proche. Tout est de leur faute, de la faute de ses flammes. De mes flammes. Tout est de ma faute.

Vous connaissez mes caractéristiques lorsque je suis Satan, le Diable, le roi des Enfers, le Mal incarné. Mais je suis aussi cet Ange déchu, un peu perdu, pas comme les autres, décalé, qui a trop souffert, qui se hait encore.

Toute la pureté d'Alexia me rappelle trop de choses. Mon âme sœur me rappelle trop de choses. Des choses que j'aurai voulu oublier. Des choses que j'ai enterrées.

On dirait une Ange. Elle n'en est pas une. Pas pour le moment. Peut-être lorsqu'elle mourra. Qui sait ? Les Anges pourraient très bien l'accueillir dans leur rang. Elle en est digne en tout cas. Elle leur ressemble déjà. Depuis que j'ai été banni, c'est l'être que j'ai croisé qui s'approche le plus d'un Ange. Et ça, ça fait mal.

Je revis par flashback une vie perdue depuis longtemps...



Je ne pouvais pas laisser ce lycéen, ce pauvre mortel, impuni. Mais cette étincelle d'agressivité de ma part a mis le feu aux poudres qui m'habite. Cet évènement s'est ajouté à la charge mentale des derniers jours dû à ce soudain recontacte avec les Cieux. Car c'est eux qui m'ont attribué l'âme d'Alexia. Des gens que j'ai connu du temps où j'étais un Ange, qui ont fait ce geste pour moi. Et me voilà, sur Terre, roulé en boule, dans le couloir d'un lycée, en pleine crise.

Je hais les Cieux pour me faire souffrir, toujours.

Je hais Alexia, ou plutôt l'effet que cette fausse Ange me fait.

Et je me hais encore plus.

Une âme pure pour le DiableWhere stories live. Discover now