Le Chant des Méduses

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La lumière bleutée du néon de son aquarium pour seul éclairage, il griffonne ses dessins. Ces mêmes dessins qui finiront accrochés au milieu de tous les autres qui recouvrent déjà les murs de sa chambre dont on ne distingue même plus la couleur.

Une odeur de renfermé règne en maître dans la pièce, ce genre d'odeur qui vous prend la gorge et vous donne l'impression d'étouffer.

Il déteste qu'on ouvre sa fenêtre pour aérer. Le bruit du monde extérieur l'agresse. Il n'aime pas non plus qu'on remonte ses stores pour laisser entrer la lumière du jour. Les changements dans ses habitudes le perturbent. Je le sais. C'est pourquoi je reste assis silencieusement sur son lit, immobile, à l'observer.

Il s'applique à la tâche, noircissant méthodiquement le blanc du papier avec son bout de fusain. Il s'arrête soudain après une longue heure de travail intense et fixe son œuvre d'un regard vide. Il la saisit alors violemment, la froissant presque et quitte sa chaise pour bondir sur son lit, à quelques centimètres de moi, et punaise son dessin sur le mur, recouvrant d'anciennes de ses œuvres. Il l'observe de nouveau quelques instants, son visage ne trahissant aucune de ses pensées, avant de retourner finalement s'asseoir à son bureau et d'attraper une nouvelle feuille pour se remettre à dessiner. Les mêmes actions qui se répètent inlassablement... il peut faire ça pendant des heures. Il sacrifie parfois ses nuits pour ses dessins et personne ne peut alors le raisonner.

La feuille qu'il vient d'accrocher se détache soudain du mur et se pose délicatement sur le sol en voltigeant. Je la ramasse avec précaution et ne peux m'empêcher de l'admirer. Une méduse. Toujours le même animal. Pourtant, pas un seul de ses dessins ne se ressemble, tous sont uniques. Il alterne des styles et des techniques différentes, si bien que le résultat final en devient imprévisible.

- C'est magnifique. Tu as vraiment un talent incroyable... murmuré-je

Le bruit de son fusain s'agitant sur le papier pour seule réponse, je m'agenouille sur son lit et remets son dessin à la place exacte où il l'avait mis. Je replace sa méduse parmi les centaines d'autres qui s'y trouvent déjà. Certaines sont en couleur, d'autres juste en noir et blanc. Les différentes espèces avec leurs formes si particulières s'alternent sur les murs et semblent danser sous les reflets bleutés de l'eau de son aquarium. Parfois une méduse, une vraie cette fois, pas une de papier, passe devant le néon et son ombre onirique se projette alors sur les murs, ses filaments s'entremêlant dans un ballet indescriptible.

Le vibreur de mon téléphone me ramène soudain à la réalité. Je sors mon portable de ma poche au moment où mon correspondant raccroche.

"Anna. 4 appels manqués. 2 messages vocaux"

"C'est mauvais" pensé-je en grimaçant. Il est temps que je rentre.

J'enfile rapidement ma veste et entrouvre la porte de sa chambre.

- Je dois te laisser Vincent. Je reviendrai jeudi. Passe une bonne soirée.

Je me glisse ensuite dans l'interstice et ferme délicatement sa porte. Je traverse le petit couloir et descends l'escalier en essayant de faire grincer le moins possible les vielles marches en bois. La lumière du salon est encore allumée mais plus aucun bruit n'émane de la pièce. Je jette un rapide coup d'œil en passant devant. Une bouteille de vin bien entamée et un verre à moitié vide trônent sur la table basse, près de Lucie, la mère de Vincent, qui s'est assoupie sur le canapé.

Elle est seule. Très seule. Nous discutons toujours un peu au moment où je pars, mais il est tard ce soir, je suis resté longtemps avec lui.

J'appuie délicatement sur l'interrupteur et éteins les lumières avant de quitter leur maison.

Le chant des médusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant