S O L E I L.

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Icare se retourna en sursautant. Une bourrasque de vent le déséquilibra à nouveau et il n'eut d'autres choix que de se laisser tomber sur le dos. Son coeur, qui avait manqué de s'arrêter, tambourinait plus fort dans sa poitrine. Il tourna lentement la tête vers la voix.

— Tu- t'as dit quoi ?

Un peu plus loin, un garçon le regardait, les mains dans les poches. Ses cheveux blonds dansaient dans le vent et le soleil s'y reflétait si fort qu'on aurait cru qu'ils brillaient.

— J'ai dit "vrai". La Vie est une merde.

Un sourire, qui contrastait avec sa réponse, se dessinait sur ses lèvres tandis qu'il poursuivait.

— Et c'est pas nouveau. Il est où le problème ?

Icare était resté à demi allongé dans l'herbe, à regarder cet inconnu sorti de nul part.

— Je- t'es qui d'abord, qu'est-ce que tu fais là ?

Son ton était dur. Il avait vraisemblablement été pris de court, et il n'aimait pas ça.

— Hélios. Je me promène... Et toi ?

Le blond s'était approché d'Icare et lui tendait la main comme s'il attendait que ce dernier en fasse de même. Icare, incrédule, le regardait les yeux grands ouverts. Non mais quel culot ! A quoi jouait-il au juste ?

Sans attendre d'avantage, Hélios fit demi-tour et alla s'installer sur le banc qui faisant face à la mer, à quelques mètres de là. Qu'est ce qui lui prend, il ne compte pas rester là quand même...

Icare se ressaisi et se retourna face au vide, frustré d'avoir été...interrompu aussi subitement.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Il avait crié cette phrase contre le vent cependant, c'était à Hélios qu'elle était adressée.
Celui-ci cria à son tour.

— Que tu me répondes.

Icare hésita un moment. Qui était cet inconnu pour se permettre de lui parler ainsi dans un moment aussi...critique ? Savait-il au moins ce qu'il venait d'interrompre ?

— Je...

Mais il ne parvenait pas à formuler une réponse. C'est comme si on l'avait brusquement attrapé par l'épaule et posé devant cette question sans qu'il n'y soit préparé. "Il est où le problème".

— Il est partout le problème. Du couché jusqu'au levé, du levé jusqu'au couché, la Vie n'est que problèmes...

Icare avait cessé de crier. Il parlait désormais à mi-voix, plus pour lui que pour Hélios.

D'ailleurs, il ne s'était pas rendu compte que ce dernier était revenu à côté de lui jusqu'à ce qu'il sente l'herbe bouger.

— Et malheureusement, ce n'est pas nouveau. Depuis que la Terre a été créée, la Vie lui a offert ses problèmes.

Icare ferma les yeux. Il écoutait à présent la voix qui s'élevait à sa droite. Lui n'avait plus envie de parler. Il voulait se taire à jamais.

— Mais ça ne nous a pas empêché d'être là. Ça n'a pas empêché les nuages de pleuvoir et le soleil de briller. Ça n'a pas empêché les montgolfières de voler ni les oiseaux de chanter. Ça ne m'a pas empêché d'être là à côté de toi, à te parler de ça.

Les yeux d'Icare s'ouvrirent d'eux-mêmes, se posant sur l'océan en contrebas. Il essayait de comprendre les paroles d'Hélios et, sans savoir pourquoi, un sourire discret apparu sur son visage.

— Alors oui, la Vie c'est une sacrée merde, et c'est pour ça qu'on se doit tous d'être là, en vie, pour lui cracher à la gueule. Dis-lui d'aller se faire voir, que t'as pas peur d'elle, que t'aura jamais peur et que tu te battra pour lui prouver qu'elle ne t'atteint pas. Nage à contre-courant, cours à contre sens, pointe-toi devant la Vie et dis-lui une bonne fois pour toute, "Vas te faire foutre, toutes tes saloperies ne m'atteignent pas. Je ne suis pas seul. Je suis fort, et je t'emmerde !".

Ses yeux s'étaient posés sur Hélios à mesure que celui-ci hurlait son monologue au monde entier et ils étaient à présent fixé sur son visage. La boule était de retour dans sa gorge, mais elle n'était pas colère ou peur cette fois-ci. Non, c'était un rire profond et confus qui se bousculait au fond de lui pour pouvoir sortir. Un rire qui perça ses lèvres et qui se répandait dans l'air comme un doux nuage blanc.

Hélios regarda le rire s'envoler et, à son tour, sourit simplement pour ne pas briser cette jolie mélodie.
Icare inspira profondément. Un sentiment nouveau fit battre son coeur plus fort, mais c'était agréable. Il revint peu à peu à la réalité.

— D'accord mais, ça ne sera pas facile. Je veux dire, de vivre.

Hélios se tourna vers la mer et tendit sa main qui attrapa celle d'Icare.

— Bien sûr... Mais le plus dur c'est d'arrêter de survivre et de commencer à vivre. La suite, ça se fera tout seul...

Deux paires d'yeux se posèrent ensemble sur l'océan, puis sur le ciel. Ils étaient liés, reliés par l'horizon qui les maintenait ensemble. C'est comme ça que durant chaque tempête, même la plus forte, ils tenaient bon, ils s'accrochaient. Ensemble.

Icare aussi l'avait trouvé son ciel, son soleil. Pas celui qui le regardait de haut en espérant pouvoir lui brûler les ailes. Pas celui qu'il avait rêvé de rejoindre, pour en finir une bonne fois pour toute. Non, c'était un soleil doux, qui lui avait apporté un horizon, une raison de rester accroché.

Hélios et Icare se levèrent, s'éloignant ainsi de cette falaise destructrice pour allez faire face à la Vie. Et ils laissèrent derrière eux une preuve de leur passage. Un téléphone messager, coincé entre ciel et mer.

Icare et HéliosWhere stories live. Discover now