Le soleil donne des ailes

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De : amore mio.

Les ailes de Cupidon ne sont pas faites de cire, Laura. Sinon, les papillons qui vivent en nous mourraient sous la chaleur de notre amour.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire à la vue de ce message poétique, mais je suis tout de suite rattrapée par l'émotion.

Abiel a raison. Si le réchauffement provoqué par nos sentiments ne brûle pas les papillons de nos ventres, il n'y a pas de raison que la canicule ait raison de lui alors qu'il a pris ses précautions.

Mais actuellement, mes yeux brillants et ma gorge nouée sont la preuve qu'on ne peut pas toujours empêcher le feu de nous consumer.

Parfois, même quand on essaie de faire en sorte que tout aille bien et que rien ne s'effondre, les choses ne se passent pas comme nous le voulons. Les ailes de l'amour ne sont pas faites de cire, certes. Mais la vie est une succession d'incertitudes. Là, celle qui noue mon estomac et étouffe mes papillons n'est autre que la peur de ne pas plaire à celui que j'ai renommé « amore mio » dans mes contacts.

Est-ce que c'est ce que ressent chaque personne qui va recevoir son petit-ami chez elle pour la première fois ?

Je pensais que la joie de le revoir allait atténuer mes inquiétudes. Vingt minutes avant son arrivée, je suis toujours aussi tiraillée entre la nervosité et l'impatience. L'audace de notre rencontre m'a quittée. Mon esprit semble l'avoir oubliée, pas mes souvenirs.

Août 2019. Cette année-là, j'ai travaillé en tant qu'animatrice dans une colonie de vacances. Adolescence Camp. C'est là que je l'ai rencontré, durant mon job d'été.

Mon camp et celui où Abiel travaillait — Holidays au bord de mots — organisent chaque année deux rencontres entre tous les jeunes et par conséquent, entre les animateurs aussi. L'une a lieu dans notre camp, l'autre a lieu dans la leur. Nous passons donc deux jours consécutifs ensemble durant lesquels nous partageons activités, repas et soirées nocturnes. Ce genre de programmes enchantent toujours nos chouchous mais lorsqu'il faut inviter une personne à danser, on ne les entend plus.

L'une des inquiétudes qui a occupé mon esprit lors de ma postulation pour ce job était de ne pas être une assez bonne animatrice. Bien-sûr, ma candidature remplissait les conditions et j'avais les capacités requises. Seulement, quand on travaille avec des enfants, avec des adolescents, il faut plus que des qualités. Il faut être capable d'établir une connexion avec eux alors qu'eux-mêmes essaient de se connecter au monde.

Abiel avait déjà compris comment faire. Selon lui, la méthode c'est : « Leur montrer les choses, pas les leur dire, comme quand on écrit. Il faut appliquer les consignes avec eux, se mettre à leur place pour mieux les comprendre et mieux les accompagner, comme un lecteur avec le héros. »

L'année où nous nous sommes connus, c'est Adolescence Camp qui a ouvert le bal de ces deux jours d'échanges. Nous avions organisé une soirée dansante, et le lendemain, il y avait un feu de camp a Holidays au bord des mots.

Abiel a fait le premier pas lors de la première soirée : il m'a abordé et m'a invité à danser. Même s'il affirmait que ce n'était « que pour montrer l'exemple », nous savons tous les deux que l'envie était aussi une des raisons qui l'ont poussé à le faire.

J'ai fait le deuxième pas le lendemain soir, alors que nous étions assis près du feu. L'heure du retour approchait à grand pas alors je l'ai sauté. Le pas, bien sûr. Je lui ai demandé son numéro avant de préciser que ce n'était « que pour montrer l'exemple ».

J'ai à peine eu le temps d'ajouter un clin d'oeil que les jeunes échangeaient eux aussi leurs numéros tout comme ils s'étaient mis à danser la veille.

J'ai compris que j'avais bien fait de lui faire part de mes craintes après que nous ayons quitté la piste. Sa façon de voir les choses est la plus juste.

Il faut leur montrer.

Il faut leur montrer comment faire, pourquoi faire et aussi pourquoi ne pas faire une chose.

« Si Icare avait pu voir de ses propres yeux ce qui l'attendait s'il se rapprochait trop du soleil, cela l'en aurait sûrement dissuadé. » Sûrement, oui. Mais on doit laisser le bénéfice du doute au « peut-être », et peut-être que ça n'aurait rien changé.

En ce qui nous concerne, beaucoup de choses ont changé après cette colonie. Nous sommes passés d'une rencontre entre inconnus à une amitié virtuelle puis à un amour à distance. Nous espérions tous les deux que nous comblerions cette distance lors des rencontres de nos deux camps.

Mais cette année, nos candidatures ont été refusées.

Peut-être parce qu'on n'était pas dans le thème du renouveau. Nous, on voulait des retrouvailles. Voilà pourquoi je me retrouve à faire les cent pas entre la salle à manger et le jardin en ressassant notre histoire.

Le stress tente de me persuader que tout n'est pas au point. Résultat, je déplace les bougies sur la table sans raison, je touche sans arrêt les pétales des fleurs. Est-ce qu'il y en a trop ? Trop peu ? Est-ce qu'Abiel sera content de dormir avec moi, sous la tente, dans le jardin ? Après le long voyage qu'il a fait sous cette chaleur, peut-être qu'il préfèrera prendre une douche bien froide et dormir dans un lit douillet.

Je sursaute alors que le vibreur de mon téléphone met fin à mes pensées. C'est un message.

De : amore mio.

Tu t'es inquiétée parce que j'ai voyagé sous la canicule mais rien ne me donne plus chaud que toi.

Je me mords les lèvres et souris avant de lui répondre qu'il est bête et que mon inquiétude a bien lieu d'être. Je me retiens de lui dire la vérité. Je préfère qu'il continue de croire que c'est la canicule qui m'inquiète... Et pas nos retrouvailles.

Le téléphone s'agite à nouveau entre mes mains.

De : amore mio.

Je te préfère dans cette tenue plutôt que dans celle beaucoup moins décontractée que tu portais le jour de notre rencontre. ;)

Cette fois, je manque de lâcher mon portable alors que le rouge me monte aux joues. J'étais tellement occupée à préparer la décoration et à m'assurer que tout serait parfait que j'ai oublié de me préparer. Il faut dire que la chaleur ne m'a pas aidé à me rappeler que je suis restée en nuisette toute la journée.

Je suis pétrifiée. Je ne sais pas si je dois me retourner ou courir dans ma chambre pour me changer avant de venir ouvrir à Abiel qui doit être à la porte. Sinon, il ne saurait pas ce que je porte.

Une nouvelle notification arrive et m'aide à prendre une décision.

De : amore mio.

Retourne-toi.

Il est là. Il n'y a qu'une porte qui nous sépare. Je peux apercevoir ses cheveux noirs dressés avec du gel, son sourire et sa mâchoire qui m'a toujours plu.

Il est là, et quelque chose de merveilleux se produit en moi. La joie de nos retrouvailles n'atténue pas mes inquiétudes, elle les supprime. Je fonce sur la porte avec mon trousseau de clés, encore émue.

Tout mon stress s'évacue enfin, et au lieu de me noyer dans une mer qui portera mon nom, je suis submergée par des larmes qui témoignent de notre amour et me libère d'un stress énorme.

Je parviens à mettre la clé dans la serrure et fais enfin face à l'être que j'ai tant attendu.

— Je te l'avais bien dit, chuchote Abiel tout sourire avant de m'embrasser, le soleil donne des ailes. 

Le soleil donne des ailesWhere stories live. Discover now