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Un crachin tombait sur les rues, l'air empestait le goudron humide. Les nuages s'étalaient au-dessus des têtes ignorantes, percés çà et là par des éclaircies. Jungkook, coincé tout contre la devanture d'une boutique fermée, observait d'un oeil morne l'autre côté de la route. Le kiosque s'apprêtait à fermer, et bien qu'il ne voyait pas le gérant à travers la vitre placardée de gros titres, il savait qu'il était là. Jungkook l'avait vu ouvrir son kiosque le matin même. Il l'avait vu le faire durant les trois derniers jours. C'était sa nouvelle obsession.

Il ne voulait pas revoir Yoongi avant d'avoir fait ce qu'il devait accomplir. Avant d'avoir fait son devoir.

Sa main était crispée sur le bout du couteau qu'il dissimulait dans sa manche. La lame pesait lourd dans sa paume, et elle était tiède à force de la tenir tout contre lui. Jusque-là, il ne s'en était pas servi. Il se demandait souvent quand il allait pouvoir le faire, bien qu'il ne s'attardait jamais longtemps sur cette pensée. L'idée même d'imaginer comment, de projeter et de planifier l'acte le rendait d'une nervosité terrible; la lâcheté le gagnait à chaque fois. Alors il ne pensait plus. Jungkook se contentait d'observer et rien d'autre. Il n'était qu'un observateur. Un simple spectateur. C'est ce qu'il avait toujours fait.

D'un mouvement, il jeta un oeil à l'heure sur son portable. Le gérant allait fermer d'une minute à l'autre. Jungkook hésita à rentrer. Une voiture passa, éclaboussant le trottoir déjà mouillé d'eau sale. Son regard s'étala sur le béton, par là où il partait pour rentrer. Mais ses baskets restèrent bien ancrées au sol. Les mèches de sa frange chatouillaient ses paupières. Il regarda à nouveau vers le kiosque.

Le gérant, ce type qu'il détestait profondément, venait tout juste d'abaisser le rideau de fer pour protéger son commerce. Des mesures inutiles; personne n'avait envie de vandaliser un tel endroit. Jungkook perça du regard l'homme qui s'en allait d'un pas trainant sous la pluie. Il l'entendait siffloter malgré le temps, sa sacoche sous le bras. Si elle contenait les recettes du jour, alors Jungkook le trouvait bien imprudent de se promener ainsi, l'air insouciant. Ça eut le don de l'énerver. Il traversa la route sans faire attention et marcha sur ses traces, la colère grondant au fond de son être.

Sa capuche rabattue, Jungkook restait à cinq grands mètres derrière lui. Il y avait encore des passants et un peu de monde sur le trottoir, suffisamment pour le dissimuler. Les bords des parapluies l'abritaient momentanément; c'était comme s'il passait de l'un à l'autre, qu'il grattait çà et là un espace qui ne lui appartenait pas. Il aimait ça. Empiéter sur le terrain des autres, sans se faire remarquer. L'homme ne se doutait pas qu'il était suivi. Même Jungkook ne saurait dire quand il allait arrêter, ni s'il y aurait une fin, cette fois-ci.

La pluie s'intensifia et l'orage retentit tout près. Comme une cloche qui sonne le glas, les passants se dispersèrent dans toutes les directions. Jungkook eut en tête une comparaison qui le laissa dans l'indifférence; c'était comme donner un coup de pied dans une fourmilière. Le désordre n'avait pas de sens. Pas plus que ses actions. Jungkook continua à suivre l'homme. Ce dernier tourna soudain et emprunta une porte menant à un parking souterrain.

Le noiraud n'entra pas à sa suite, car il fut prit d'un doute. Les derniers jours, il s'était arrêté à ce stade. Son hésitation fut suffisante pour lui faire perdre quelques longues secondes. Cette fois-ci, il ne fit pourtant pas demi-tour. Il poussa la porte et entra sans savoir ce qui l'attendrait exactement de l'autre côté. Si la rue était pour lui un environnement familier, ses détails et recoins n'avaient rien de semblables.

Il descendit des escaliers qui débouchèrent sur une simple pièce, tout aussi saugrenue que le reste. L'homme était là, devant l'horodateur. Il lui faisait dos, totalement occupé à compter la petite monnaie et à insérer les pièces rapidement. Jungkook baissa la tête et jeta de brefs coups d'œil aux alentours. Il n'y avait personne d'autre. Sa main se crispa sur le manche de son couteau au moment même où il remarqua la caméra de surveillance. Dans un coin en hauteur, il était impossible de savoir ce qu'elle filmait. Le noiraud resta en retrait, incapable de faire un pas de plus.

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⏰ Last updated: Jun 22, 2022 ⏰

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Obsession  | y.kookWhere stories live. Discover now