Montures et mariage

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C'était un beau jour de printemps, où l'on se plaisait à admirer les vertes prairies dans lesquelles paissaient des vaches bien grasses ; un petit ruisseau bruissait en contrebas, sur lequel dérivait un nourrisson lové au creux d'un panier enrobé de bitume et de poix. Personne n'avait cure d'un rejeton ainsi trouvé dans une rivière, fi ! Mais peut-être les paysans qui regardaient passer l'enfant auraient mieux fait de le recueillir, car le marmot se révélait être Moïse lui-même, se dirigeant droit vers l'Égypte (pauvre garçon, il allait devoir grimper beaucoup de montagnes pour récupérer les dix Commandements).

Jean-René, fier chevalier au port de tête digne de lui procurer un désagréable torticolis, trottait bien droit sur son beau destrier blanc à la crinière de feu et aux yeux violets-arc-en-ciel : il cheminait ainsi sur un sentier fait de terre et de graviers, l'air content de sa promenade. Il inspira de ses grandes narines l'air pur du petit matin.

-Ah ! S'exclama-t-il à l'adresse de sa monture. Quelle belle matinée décidément ! Il me faudrait bien une énième princesse à sauver ce mois-ci ! Je commence à trouver le temps long, bien que j'apprécie grandement les balades passées en ta compagnie, Ponyta !

Le cheval n'avait point d'idée de ce que baragouinait le macaque juché sur son dos, mais il le trouvait un peu trop braillard à son goût.

D'une ruade, il éjecta son cavalier, l'envoyant au ras des pâquerettes. L'expression étant bien choisie, car Jean-René cueillit quelques fleurs en s'exclamant d'un ton réjoui :

-Ah ! Mère sera contente de ce présent. Je te remercie, mon fier Ponyta, grâce à toi j'ai trouvé de fort jolies pâquerettes à ramener à maman !

Ponyta fronça les sourcils. Il avait des sourcils bruns bien fournis, ce qui était tout de même particulier pour un cheval. Il secoua la tête, contrarié : Ponyta était une fille, mais tout le monde la prenait pour un garçon. Elle avait tout de même eu un poulain qui avait fini dans l'assiette du seigneur du Comté, alors pourquoi s'obstinaient-ils donc tous à la genrer comme un mâle ?

Jean-René continua son chemin, sifflotant allègrement tout en observant la nature qui s'éveillait : un ours décapitait un gueux un peu plus loin (bien fait pour lui !). Une femme qui accouchait dehors le salua d'un signe de main auquel il répondit, toujours en sifflotant, sourire aux lèvres, pâquerettes à la main, et avec une culotte désormais crottée.

Le lieu où logeaient les parents de Jean-René était fort modeste : trente hectares de jardin, trois piscines d'une vingtaine de mètres de longueur, et un château d'à peine quelques kilomètres de superficie. Jean-René trottina jusque devant les douves, où nageaient une dizaine de crocodiles et quelques centaines de pyrhanas (personne ne savait comment ils étaient arrivés dans la France féodale, mais cela n'avait guère d'importance).

-Holà ! S'exclama notre courageux guerrier, la tête levée vers le chemin de ronde. Que quelqu'un abaisse le pont-levis !

Un garde montra lentement sa vilaine tête par-dessus les créneaux, l'air ensommeillé.

-Qu'est-ce donc ? Fit-il en baillant.

-Qu'est-ce donc ?? S'insurgea Jean-René, offusqué. Mais il s'agit du fils du seigneur !

-Ah oui ? Et où est-il ? Continua le garde d'une voix traînante.

-Mais ici, crénom de nom ! S'irrita le chevalier en tapant des pieds. Ici, vous dis-je ! C'est moi !

Le garde arrondit les yeux.

-Vous, le fils du seigneur ?

-Oui, oui ! Continua de s'égosiller le preux jeune homme.

Les contes extraordinaires de Jean-René le chevalierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant