21. Noé

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Mercredi matin

Les familles envahissent le couloir de l'étage et nous sommes tous là, à déambuler comme des poules sans tête, à la recherche d'un visage connu. A l'entrée, il y a Thomas et une autre soignante, une femme que je ne connais pas. Ils surveillent ceux qui rentrent, saluent ceux qu'ils connaissant. Je vois mon père, grand et stoïque et ma mère qui comme toujours, garde son sac tout contre elle, sait-on jamais qu'on voudrait lui voler ses bons de réductions chez Auchan. Mon père la guide en la tenant par les épaules, jusqu'à ce qu'enfin elle me voit. Elle sourit, tend ses bras vers moi. Elle a mit sa jolie robe rose, celle qu'elle garde pour les occasions parce qu'elle la rend plus mince dit-elle. Elle a été chez le coiffeur et je sens son parfum, le Lancôme qu'elle garde précieusement.

"Mon chéri ! Qu'est-ce qu'il y a comme monde aujourd'hui !

_ C'est comme ça tous les jours maman. On est nombreux ici tu sais.

_ Je préférais la semaine dernière.

_ Ce n'était pas le jour des visites la semaine dernière. Le jour des visites, il y a des gens."

Il y en a d'ailleurs des gens qui me regardent, me dévisagent et me jugent, mes vêtements surtout. Je vois bien que ma mère elle aussi s'en rend compte, qu'elle me regarde de haut en bas. Mais elle ne dit rien et moi non plus. J'ai pris le temps de m'habiller ce matin et je me suis trouvé beau en me voyant dans les reflets des vitres. J'ai pas envie que ça change.

Aujourd'hui, je les emmène jusqu'à ma chambre. Je leur montre cet espace minuscule, eux n'ont jamais vu celle du pavillon blanc. Les draps ont été changés avant les visites, la pièce n'a plus aucune odeur, la nuit dans ses bras, oubliée.

"On nous dit que tu avais arrêté de participer à l'un des groupes, s'inquiète ma mère en touchant toutes les surfaces, vérifiant la poussière."

_ Oui, mais ce n'est pas un mal maman. Ça se passait mal de toute façon. Je vois simplement le docteur Michel une fois de plus. Elle dit que je fais de gros progrès.

_ Chéri, on nous a dit pour ce week-end.

_ Ce week-end ?

_ Oui, ta... Crise, dit-elle d'une voix tremblante.

_ Oh. C'était rien. J'étais fatiguée et ... C'était rien, ok ?"

Il y a ce regard entre mes parents, ce regard qui ne dit rien mais veut tout dire, ce regard qui m'énervait déjà enfant. Ce regard qui t'exclue car "tu ne peux pas comprendre".

"Tu es sûr que tu es prêt à sortir chéri ?

_ Quoi ? C'est quoi cette question ? Bien sûr que j'suis prêt !

_ On ne voudrait pas que les choses soient précipitées, c'est tout. Si tu te sens ben ici...

_ Non, maman. Tu as remarqué que ce n'était pas une colonie de vacances ? C'est un hôpital, un hôpital psychiatrique. Ça fait des mois que je suis là. Des mois à m'enfoncer et à avoir peur. Je suis prêt à sortir maman, je ne changerai pas, moi. Ce n'est pas moi le problème."

Mon père tourne, il inspecte la pièce, il ne me regarde pas. Forcément, il tourne vite en rond dans ces quelques mètres carrés à peine meublés. Alors c'est que ma mère a quelque chose à me dire.

"Reviens au moins à la maison, soupire-t-elle.

_ Pour quoi faire ?"

J'entends mon père qui soupire dans le fond de la chambre avant de venir poser ses mains sur mes épaules, debout derrière moi. Il les presse gentiment.

"On a peur pour toi Noé. On ne veut pas que tout recommence, tu comprends ?

_ Rien ne recommencera, papa. J'ai passé les derniers moi en thérapie, à répéter les mêmes choses, à revivre sans cesse la même chose, à travailler sur moi. Je suis pas resté là pour faire la peinture. J'ai pas envie de revenir à la maison, j'ai pas envie de vous avoir sur le dos, à vous voir me regarder et me parler comme un p'tit truc fragile et à me dire de faire attention à moi.

_ On veut juste que tu ne retombes pas dans tes vieux travers.

_ Mes vieux travers ? Je hoquette.

Ma mère caresse mes mains, y traçant des cercles avec ses pouces, elle fronce ses sourcils en grimaçant. Je vois bien qu'elle cherche ses mots, elle trouve les mauvais.

"Chéri, tu sais ce que je veux dire, tous ces garçons, cette vidéo...

_ De vieux travers ? De vieux travers ?!

_ Noé, ne t'énerve pas.

_ Mais si je m'énerve ! Vous entendez ce que vous me dîtes ?! C'est moi qu'on met ici, et qu'on veut parquer comme un bête et surveiller ! C'est à moi qu'on fait la morale, à qui on reproche des choses ! Je n'étais pas... Je n'étais pas consentant, vous le comprenez ça ?! Que c'était pas de ma faute à moi ? On m'a violé maman !

_ On n'a pas dit ça Noé, calme-toi, reprend mon père. On sait. On en a parlé, ta mère et moi et nous aussi on a ... On a vu quelqu'un. On a pris rendez-vous pour parler à un psy pour nous deux. Mais toutes ces soirées, ces sorties, ces garçons, toutes ces choses que tu ne pourras pas éviter, et tu seras tout seul. Tu ne peux pas nous en vouloir, Noé, nous sommes tes parents, tu es notre fils, et tu as voulu mourir. Nous avons cru te perdre."

Il y a un moment de flottement, maman et ses yeux fermés, papa et son silence.

" Ça n'arrivera plus. J'ai compris ça. Je sais ce que je vous ai fait, je sais que je vous ai fait peur, je sais que je vous ai fait énormément de peine. Je le sais. Mais je ne peux pas rester constamment sous surveillance ni à la maison ni ailleurs, je vais reprendre les cours et mon boulot. Je vais me faire de vrais amis, et reprendre confiance en moi, et je vais découvrir que la vie n'est pas qu'une belle pute ?

_ De vrais amis ? Chéri, me cajole ma mère, tu es quelqu'un de gentil, de tendre mais de fragile, Noé ! Je ne veux pas que d'autres garçons profitent de toi. Ou même d'autres filles, tu ne saurais pas te défendre, on l'a déjà vu. Si tu ne veux pas revenir à la maison, au moins, chéri, s'il te plaît, sois plus discret.

_ Discret ? Ça veut dire quoi ça ?

_ Chérie, on en a parlé..."

Mon père serre mes épaules un peu plus fort et se penche par-dessus moi vers ma mère. Elle, elle tient mes mains bien fort en ne me quittant pas du regard.

"Maman, arrête avec ça. Je ne changerai pas mon style, ni mes vêtements, ni rien d'autre. Ce n'est pas ça qui va changer le regard des autres, j'aurais pu arriver en vieux sweat dégueulasse que ça n'aurait rien changer. Alors tant qu'à faire, je préfère être moi et être fier de moi. Il faut que tu te mettes ça en tête.

_ Pourquoi tu ne veux pas faire un effort Noé ?

_ Parce que ce n'est pas à moi de "faire un effort". Je ne vais pas changer pour faire plaisir aux autres.

_ Mais les autres ne te comprennent pas, chéri, ils te voudront du mal.

_ Moi je le trouve beau, Noé."

Tous les trois, nous nous tournons en même temps vers le couloir et la porte ouverte.  






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Hé, coucou. Voici pour l'instant le chapitre sur Noé. Je n'arrive pas à écrire celui sur Gabin, je n'aime pas du tout ce que j'ai écrit jusqu'ici, je préfère donc ne pas vous le poster pour l'instant, je continue de le travailler. Je sais que vous comprendrez. 

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Le naufrage de Noé [BoyxBoy]Where stories live. Discover now