Chapitre 2 partie 2 - Nora

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25 mai 2020

L'alcool joyeux retombe dans mon corps, laissant place à une grande lassitude et à beaucoup de peine. Mon cœur se serre à l'entente de ces mots. Mes yeux se mouillent de larmes, mais ma bouche reste scellée. Les phrases que j'aimerai lui répondre s'enchevêtrent dans ma tête, se perdent au milieu de mes synapses, se bousculent contre ma langue, mais ne sortent pas. Elles restent bloquées à la barrière de mes lèvres.

Pourtant, je crie intérieurement. Je sais que malgré les larmes qui menacent de s'écouler pitoyablement sur mes joues, mon regard doit être allumé par un éclat de colère. Pour qui te prends-tu à venir me dire ça ?

— Tu es ridicule, reprend-il. Une honte pour notre espèce.

L'alcool me fait perdre mes moyens et mes larmes jaillissent malgré moi. Mon instinct de survie s'active et me met en mouvement. Je prends la direction de la porte, mais titube, manque de tomber, me rattrape en prenant de nouveau appui contre le mur. Mon souffle est court, mais je ne peux pas écouter encore ces inepties.

J'entends son ricanement tandis que ma main trouve la poignée de la porte.

— Je suis Kiëran Moster, alpha de la meute du Béryl, souviens-en toi.

Et je suis à l'intérieur. En sécurité. Loin de ce loup malveillant. Je passe une main sur mon visage, essuyant l'eau d'un geste rageur. Qu'est-ce que c'était que ça ?

Maman m'avait prévenu que mon terrain était sur le territoire d'une meute, mais je ne pensais pas qu'ils me repéreraient, encore moins qu'ils viendraient me trouver. J'ignore ma louve depuis ma naissance, j'ai dû me transformer quatre fois en vingt ans à tout casser. Et ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer. Ma vie parmi les "humains" comme il a dit, me convient très bien. Je ne vois pas pourquoi je viendrais m'encombrer de loups. Mes parents ont quitté la vie en meute pour une bonne raison.

— Ça va pas ?

Eléa me dévisage. Je voulais prendre une seconde pour respirer, pour remettre de l'ordre dans mes idées, mais je viens de perdre cette occasion. L'inquiétude que je lis dans son regard manque de me faire perdre mes moyens. Je ne peux pas craquer, encore moins devant elle. Et je ne peux raisonnablement pas lui raconter pourquoi j'ai pleuré.

There's no such thing as werewolf.

Les loup-garous n'existent pas.

Je ne peux décemment pas lui expliquer qu'un connard est venu m'insulter, parce que je ne suis pas "à la hauteur" de ses espérances. Mais mon amie n'est pas dupe, elle perçoit mon trouble. Et comme elle me connaît, elle sait que je ne vais pas lui en parler. Alors la jeune femme m'ouvre ses bras en m'adressant un regard compatissant. Je tente de ravaler mes larmes, mais c'est peine perdue avec l'alcool. Ma clope n'a même pas eu l'effet escompté.

Eléa m'enlace avec tendresse et je pleure contre son épaule. La jeune femme frotte mon dos d'une main avec bienveillance.

— Tu reviens jouer avec nous ?
— Oui.

Nous nous détachons l'une de l'autre et mon amie attrape ma main. Elle m'entraîne avec elle jusqu'au salon où notre promo fait la fête. J'efface mes larmes rapidement et me recompose une expression joyeuse. Un sourire éclatant apparaît sur mon visage lorsque les têtes de nos camarades se tournent vers nous. Je réfléchirais plus tard à ce qu'il vient de se passer. Ils nous accueillent avec joie tandis que nous reprenons nos places.

— On était en train de jouer au picola, pioche une carte, m'invite Noélie avec gentillesse.

J'opine du chef et attrape une carte. Mon sourire s'agrandit tandis que j'en lis le contenu.

"Si vous avez un tatouage, dessinez-le sur quelqu'un. Il peut refuser pour deux gorgées".

— Oula, qu'est-ce que tu as pioché toi ? demande Paolo.

Son inquiétude me fait glousser. Je vais lui dessiner mon tatouage, comme ça il devra arrêter de s'en moquer.

— Tu vas gagner un tattoo ce soir.
— Non.

Il ouvre de grands yeux en me dévisageant. Cela ne fait qu'aggraver mon hilarité. Mais mon ami est joueur, il ne va pas refuser. Je prends le marqueur noir qui traine à côté des cartes et le rejoins en titubant légèrement.

— Remonte ta manche.

Paolo se prête au jeu et me laisse accéder à son biceps droit. J'écris d'une main tremblante et mal-assurée "Try again, fail better".

Essaie encore, échoue mieux. 

La Force de la Nature [PUBLIÉ CHEZ Hlab]Where stories live. Discover now