𝐭𝐮𝐛𝐞𝐫𝐜𝐮𝐥𝐨𝐬𝐞

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mademoiselle laguionie adélaïde,
8 rue de la liberté, tours.

paris, le 23 janvier 1845.

ma très chère sœur,

vous devez vous doutez de la raison pour laquelle je vous écris cette lettre, moi qui n'ai pas cette habitude, contrairement à vous.
la sentence est tombée ce matin. thomas n'en a plus que pour quelques jours. la maladie est trop lourde pour son état, et ce, malgré le fait que nous ayons tout tenté, allant jusqu'à débourser l'argent consacré à notre loyer. paris est cher, mais les traitement le sont encore plus. et malheureusement, nous ne pouvons rien faire de plus.

nous avons un instant hésité à vous rejoindre, mère et vous, dans la campagne tourangelle, afin de permettre à thomas de profiter de la nature une dernière fois, or, le trajet serait trop éprouvant et je refuse de voir mon compagnon s'éteindre dans mes bras, dans un train à mi-chemin entre sa vie et la mienne.

alors que j'écris ces quelques mots, thomas dort paisiblement dans notre lit. il est beau ainsi. ses traits souriants et déformés par l'hilarité me manquent au quotidien. je n'arrive plus à garder cette façade lorsque je suis face à lui et chaque seconde à ses côtés me fait un peu plus mal. la nuit, je suis obligé de quitter notre lit pour aller pleurer ma douleur sur le balcon.

ma vie n'a jamais été facile, hélas, mais cette épreuve est la plus dure de toutes. peut-être est-ce là la conséquence de notre amour interdit? dieu nous a donné cet idylle un court instant avant de nous l'arracher pour nous rappeler le pêché dans lequel nous baignions.
j'aurais préféré que tout soit différent. j'aurais préféré avoir été celui destiné à s'éteindre. son être est si frêle, si délicat, nous nous doutions que sa lutte serait veine.

cela fait trois mois que je n'ose plus le toucher, de peur de le briser. le seul contact que je ne m'interdis pas est celui de ses doigts. tous les matins je me pose à ses côtés, sur la chaise à son chevet, et je lie mes doigts aux siens, pour lui rappeler que je suis là. je lui lis aussi vos lettres adélaïde, ainsi que celles de sa sœur madeleine qui a cessé de se déplacer pour nous rendre visite.

le médecin passe chaque jours, pour vérifier son état, mais comme je l'ai dis plus tôt, celui-ci n'a fait que s'aggraver et je vais bientôt être témoin du dernier souffle de mon cher et tendre.

ô, comme nos souvenirs heureux hantent mes pensées. je donnerais tout pour revivre notre printemps à angers de 1842. il était resplendissant, en bonne santé, et surtout, il avait toujours son magnifique sourire aux lèvres.

vous ne devez pas comprendre quelle direction prend ma lettre, mais, elle prendra sens un peu plus tard.

à travers ces quelques mots, je veux redonner vie au premier souvenir heureux que j'ai de mon amour de toujours. vous rappelez vous de notre première rencontre avec la famille iturralde? dansent encore sous mes yeux les souvenirs vifs de thomas. nous n'avions que 15 ans et pourtant la passion qui naquit en nous fut telle que nous ne pûmes la cacher bien longtemps. en fermant les yeux, j'arrive à revivrd notre premier baiser, derrière la fontaine du jardin. oh, adélaïde, comme j'aimerais revenir 13 ans plus tôt pour revivre cette nuit d'été.

bien, je ne vais pas éterniser cette lettre et je vais garder pour moi et chérir les souvenirs plus intimes que je partage avec thomas.
je voulais juste les revivre une dernière fois, à travers ces lignes d'encre tracées aléatoirement sur un papier bien trop fin.
quand vous recevrez cette lettre, thomas se sera sûrement éteint. j'espère que sa lumière cessera de brûler durant la nuit, sans un bruit, sans douleur.

je ne rentrerais plus, adélaïde. lorsque l'heure de mon fiancé aura sonné, la mienne sonnera à son tour.

si nous n'avons pas pu être unis dans la vie, nous le serrons dans la mort.

damien, votre cher frère.

ps : n'oubliez pas que je vous aime fort et que je pense à vous.

└➤   fin ·  ·  · · ♡

𝓸ne shots » 𝐓𝐄𝐑𝐑𝐀𝐈𝐍𝐊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant