Chapitre 1

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Le bruit de son dernier baiser sur ma joue résonne encore dans ma chambre malgré qu'elle soit partie il y a de cela de longues minutes. Le regard dans le vide, je n'ai pas bougé d'un millimètre depuis, cherchant des réponses à des questions qui ne semblent pas en avoir. Un soupir finit par passer la barrière de mes lèvres et je suis presque sûr que les autres habitants de l'immeuble ont pu l'entendre. Les coudes appuyés sur mes genoux, je frotte mon visage avec énergie, les paupières fermées, pour tenter d'effacer la déception qui s'est emparée de moi.

Encore une fois, je me suis jeté dans les bras de Virginie pour essayer d'oublier mais surtout de ressentir quelque chose d'autre que ce vide en moi. Cette anomalie qui me poursuit depuis des années maintenant. Mais comme d'habitude, cela n'a servi à rien. J'ai toujours ce trou béant dans la poitrine qui aspire sans relâche toute émotion ou tout espoir qui pourrait naître en moi. Aucune femme, aucune partie de jambes en l'air n'arrive à changer ça.

La sonnerie de mon téléphone me fait sursauter. J'essuie ma joue où une larme a eu l'impudence de glisser avant de m'allonger de tout mon long sur le lit que nous venons de martyriser. Le bras tendu vers la table de chevet, j'attrape mon smartphone. Je ne suis pas surpris de voir son nom et sa photo s'afficher sur l'écran. Je soupire et décroche :

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Wow... Tu es vraiment le seul mec que je connaisse qui soit de mauvaise humeur après avoir baisé.

— Qu'est-ce que ça peut te foutre ?

— Oh à moi, rien du tout ! Tu restes mon frère, peu importe ton humeur. Mais pour toi...

— Ne t'occupe pas de moi, le coupé-je sèchement. Qu'est-ce que tu me voulais ?

— Capu va se marier, déclare-t-il.

— Euh... Ouais, je sais. Depuis à peu près un an, donc pour le scoop, on repassera !

Il soupire à mon semblant de blague comme si je le désespérais. De toute manière, quoi que je fasse, ça ne convient jamais à mon petit frère.

— Capu va se marier et son enterrement de vie de garçon a lieu ce soir.

— Cool, marmonné-je, pas le moins intéressé.

Capu, de son vrai prénom Capucin, est le meilleur ami de mon frère depuis la maternelle. Je l'apprécie, mais de loin. Je n'ai jamais été proche de lui et c'est très bien comme ça.

— Tu dois venir avec moi ! assène-t-il, sans plus de détour.

Mes yeux s'ouvrent en grand. Désarçonné, je me redresse et m'assois sur le bord du lit. Tout en passant une main dans mes cheveux, je m'exclame :

— Qu'est-ce que j'irai foutre là-bas ?

— S'il te plaît, Chuck, j'ai besoin de toi.

— Mais pourquoi ?

— Ils le font dans un club...

— Et ?

— De strip-tease...

Un de mes sourcils se relève, ne comprenant pas le souci. Jean est déjà allé dans ce genre d'établissement. Même à plusieurs reprises. La première fois, c'est même moi qui l'ai emmené pour ses dix-huit ans.

— Et ? répété-je.

— Dois-je te rappeler le sexe de la personne que Capu épouse ?

— Ah, chuchoté-je.

— Oui, ah !

— Je ne vois toujours pas pourquoi je devrais t'accompagner. Dois-je te rappeler que je ne suis pas gay ? lui demandé-je en reprenant sa tournure de phrase. La femme qui vient de prendre son pied avec moi pourrait te le confirmer sans problème si tu as des doutes.

— Ça n'a rien à voir. J'aimerais juste... Un soutien. J'ai peur du club en question, m'avoue-t-il.

Je ricane, me moquant ouvertement de la situation de mon frère. Je me mets même à l'imaginer... Assis dans ce club, à un mètre de la scène où des hommes se déshabilleraient sans pudeur. Une sueur froide coulant le long de ses tempes. Ses mains moites par la gêne. Sa jambe tressautant comme à chaque fois qu'il stresse. Son visage déformé par une légère grimace lorsqu'un homme bougera son derrière sous son nez.

— Arrête de te foutre de ma gueule, merde, Chuck !

— Désolé, bafouillé-je entre deux éclats de rire.

Mes doigts essuient la commissure de mes yeux où des larmes de rire se sont formées. Une fois mon hilarité à peu près passée, je reprends la parole :

— Désolé ! Je... Mais en tant que témoin, ce n'est pas toi qui dois organiser ce fameux enterrement ?

— Si, mais ils veulent le faire à l'endroit où ils se sont rencontrés.

Je pouffe de rire, comme une gamine.

— Ils... Ils se sont rencontrés dans un club de strip-tease ?

— Ne les juge pas !

— Tu sais bien que ce n'est pas mon métier, rétorqué-je.

— Rho, ferme-la !

— Drôle de manière de me parler alors que tu as besoin de moi...

Le silence me répond. Je baisse les yeux sur mes habits éparpillés sur le sol et déglutis. Qu'avais-je mieux à faire de ma soirée de toute manière ? Je n'ai aucune envie de travailler un vendredi soir sur mon prochain procès et encore moins, après l'échec que je viens de vivre. Je comptais me morfondre, une bière à la main, dans un bar quelconque. Ce club pourrait donc faire l'affaire...

— OK...

— OK ? Vraiment ? Tu ferais ça pour moi ?

— N'insiste pas trop sinon je change d'avis, maugréé-je.

— Non, non ! Je viens te chercher à vingt heures trente. On va manger dans le restaurant où ils ont eu leur premier rendez-vous.

— Ah ! Tu m'invites au McDo du coin alors, plaisanté-je.

— Ferme-la ! Allez à ce soir.

Je lui dis la même chose avant qu'il murmure des remerciements. Il raccroche, me laissant un sourire aux lèvres. Jean sait qu'il peut compter sur moi. Même quand il s'agit de l'accompagner voir des strip-teases d'hommes. Nous avons dix ans de différence ce qui fait que j'ai passé ma vie entière à le protéger. Nous avons toujours été très proches. Il est mon meilleur ami, mon confident même si vu de l'extérieur, nous pouvons paraître un peu... rustres et peu aimables l'un envers l'autre.

Mon mobile retrouve rapidement sa place sur le meuble avant que je me laisse partir en arrière. Le regard fixé sur le plafond, j'essaie de faire le tri dans mon esprit. Il serait peut-être temps que j'accepte la réalité telle qu'elle est. Je suis incapable de ressentir ne serait-ce le moindre sentiment. J'aime Jean et aussi Imane, mon associé et ami, mais cela s'arrête là.

Cela fait des mois que cette idée me trotte dans la tête. J'ai fait bon nombre de recherches à ce propos. J'avais encore des doutes et aujourd'hui, je dois me rendre à l'évidence. À presque quarante ans, je n'ai jamais été amoureux. Jean et Imane me répètent que je n'ai juste pas trouvé la bonne personne, mais peut-être que je ne peux tout simplement pas l'être. Ma vie est peut-être destinée à être comme elle est maintenant. Mon travail, ma famille, mes coups d'un soir et c'est tout...

Je suis peut-être aromantique.

Et en fait, ça me conviendrait parfaitement.

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