DIMANCHE 25 / 11 HEURES

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Louis n'était pas un bon samaritain. Il était même tout l'inverse. Il avait refusé à des dizaines de potes de les héberger après des soirées, il raquait pas mal de bières et de grecs sans jamais rembourser et il n'avait toujours pas donné ses jouets de petits garçons aux associations de charité, incapable de se défaire de l'attachement qu'il leur portait. Mais quand Ninon avait laissé sous-entendre qu'elle était plus ou moins à la rue, il n'avait pas hésité.

En rencontrant Zia, il avait pensé qu'elle était une sorcière, parce qu'elle avait plein de cristaux chez elle et lui envoyait tous les lundis matins son horoscope de la semaine. La vraie sorcière, c'était Ninon. Il aurait tout fait pour elle. Sans parler d'amour, de crush, nanani nanana... Il tenait tant à Ninon, ce qui était paradoxal, puisqu'ils s'étaient appréciés en tout et pour tout deux semaines de leurs vies.

La veille, il avait prévu une soirée et une matinée tranquilles, et le voilà dans l'appartement de Ninon, à attendre qu'elle remplisse sa grosse valise. Elle mettait un temps fou à choisir ses vêtements, désinfecter tout ce qui pouvait l'être et ranger méticuleusement les affaires qu'elle n'emportait pas. Lui ne disait rien depuis plus d'une heure, assis sur le canapé, regardant des Tik Tok pour passer le temps. Il était juste là pour porter des trucs. Gros bras, pas de cerveau.

Ninon faisait des aller-retours. À un moment, elle lui demanda :

― Tu as une essoreuse à salade ou je devrais en ramener une ?

― Ramène la, au cas où je ne retrouve plus la mienne.

Au début, elle ne décela pas l'ironie dans sa voix.

― Tu perds des essoreuses à salade ?

― Récemment, j'ai perdu mon mousseur à lait et mon extracteur de jus, alors qui sait ?

― Ah, tu te fous de ma gueule.

― C'est toi qui a commencé en me demandant si j'avais une essoreuse à salade ! Comme si j'avais une essoreuse à salade...

Il ne se souvenait même pas de la dernière fois qu'il avait mangé une feuille de salade.

Son téléphone vibra et en voyant le nom de sa petite amie s'afficher sur l'écran, le cœur de Louis eut un raté. Il s'éclipsa dans le hall pour décrocher.

― Allô ?

― Coucou, je t'appelais juste pour te dire que je partais, je devrais être chez toi d'ici un quart d'heure.

Il se crispa. Il avait complètement zappé que Zia venait.

― Euh... je suis pas chez moi, te presse pas.

― Ah... T'es où ?

Louis frappait le carrelage du bout du pied, il n'avait pas à être gêné, pourtant, il l'était.

― Chez Ninon, on récupère des affaires à elle. C'est trop la merde avec son logement, elle va passer quelques jours chez moi.

― Et ça va prendre du temps ? Je fais quoi, je pars quand même ?

Louis repensa au temps interminable que prenait Ninon à faire sa valise.

― Oui, je pense. Écoute, je t'envoie un message quand on part de chez elle.

― OK, tu me tiens au courant.

― Bisous.

― Oui, à plus.

Au moment de raccrocher, il devina le manque d'enthousiasme que Zia avait eu du mal à dissimuler.

Louis retourna à l'intérieur de l'appartement. Celui de Ninon était bien mieux que le sien. Déjà, elle avait une chambre et un salon, le luxe. Ensuite, sa cuisine était aménagée, alors que Louis se contentait d'une kitchenette sur laquelle une cafetière et un grille-pain donnait une vague impression de tout inclus. Puis, c'était si bien rangé. Elle avait des plantes vertes alignées sur des étagères, des livres ordonnés selon la couleur des couvertures et des bougies non entamées disséminées un peu partout sur les meubles. On s'y sentait bien dans cet appartement.

La valise était béante sur le sol du salon, Ninon n'était nulle part. Un rideau séparait la pièce à vivre de la chambre, Louis l'écarta légèrement. Elle était assise par terre, au milieu d'un tas de vêtements parmi lesquelles elle ne parvenait à faire son choix. Elle pleurait. Ce n'était pas des sanglots spectaculaires, les larmes coulaient sur ses joues en silence.

― Hey... lança-t-il. Pourquoi tu pleures ?

Elle sursauta, elle ne l'avait pas entendu. Ninon ne se cacha pas, elle n'essuya pas non plus ses larmes en vitesse, plutôt, elle leva au ciel des yeux humides.

― J'en sais rien. J'en sais rien, putain ? J'arrive pas à me décider si je prends un col roulé supplémentaire, au cas où, et je me suis mise à pleurer.

Elle renifla pour ravaler un pleur, et s'écria :

― Merde ! Hein ! Merde. Quelle conne, mais quelle connasse de pleurer pour de la merde comme ça. C'est un putain de pull, Ninon.

Il n'avait jamais entendu Ninon jurer de la sorte. Impuissant, Louis resta dans l'encadrement de la porte, les bras ballants. Qu'aurait-il dû faire ? Comme il ne disait rien, Ninon continua :

― Je me sens juste drainée. Pourquoi c'est sur moi que ça tombe ? Pourquoi c'est sur moi que toutes les merdes du monde tombe ? Il y a quoi, deux immeubles dans cette ville qui ont été construit par des abrutis ? Pourquoi le mien ? Et maintenant, en plus ? Et pourquoi c'est moi qui ait une mère teubé ? Et pourquoi je chiale pour un col roulé ?

Face au désarroi de son amie – est-ce qu'il pouvait la désigner comme une amie ? –, il tenta de voir le bon côté des choses.

― C'est tant mieux qu'on se soit revu à ce bar, du coup...

Par-là, il voulait dire tant mieux que Ninon ne soit pas seule dans sa galère, tant mieux qu'elle ait une épaule familière sur laquelle se reposer, tant mieux qu'elle n'endure pas tous ces obstacles sans quelqu'un pour l'accompagner. Elle n'avait peut-être pas compris sa phrase dans ce sens, puisqu'elle répliqua :

― Honnêtement, Louis, non. Tu rends les choses encore plus difficiles.

― Oh...

Elle jura à nouveau, dans un murmure. Là, il fut incapable de dire qui elle incendiait, lui ou elle-même. Louis encaissa la critique, mais elle ne faisait pas moins mal. Il avait été heureux de retrouver Ninon, même si, OK, la situation était chelou et gênante. De savoir que le sentiment n'était pas partagé, ça blessait son ego.

― Tu veux que je parte ? proposa-t-il.

― Mais non, s'agaça Ninon. Reste.

― Je... je pige pas.

― Si tu partais, ce serait dix fois pire.

― O... OK ? Alors tu veux que j'aille dans le salon et que j'attende que t'aies fini de pleurer ou... ?

Il arracha un sourire à Ninon, puis un rire, pourtant, il était très sérieux. L'ambiance était lourde depuis qu'ils s'étaient retrouvés, à cause de l'abcès évident entre eux qu'il fallait crever à tout prix – et que Ninon ne voulait pas percer. À ce stade, Louis aurait fait n'importe quoi pour résoudre le problème.

― Dis-moi juste combien de col roulés tu penses que je devrais emporter.

― Euh... baragouina Louis, pris de court. Prends-en un supplémentaire, au cas où. Et si jamais il t'en manque encore, on reviendra ici en prendre d'autre.

Ninon prit une longue inspiration.

― Oui, t'as raison. Merci.

Il eut un sourire contrit, merci de quoi ? Il n'avait rien fait. Avant de la laisser tranquille, il l'interrogea :

― Juste... Tu as prévu de beaucoup pleurer dans les prochaines semaines ?

― Oui.

― Cool.

Du fun en perspective... 

La vagueWhere stories live. Discover now