Chapitre 1

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La douleur était lancinante, perpétuelle. Elle était tellement présente qu'elle faisait partie intégrante de mon corps. À force, elle en devenait même indescriptible. Pour sûr, on m'avait demandé tellement de fois d'y mettre une mesure, que j'en étais désormais incapable. Pourtant, c'est ce que je me devais de faire tous les jours, sans cesse. Et ce, depuis désormais un mois.

Un mois de souffrance, un mois de rééducation, un long, très long mois, ayant suivi diverses interventions chirurgicales. J'en avais tellement eu, en si peu de temps que j'avais cessé de compter. Tout ce que je savais, c'est que j'avais perdu un rein, d'où ma cicatrice sur le flanc droit, une autre ornait également mon cou, dû bêtement au choc. Mais le pire, c'était celles présentes sur mes jambes. Des traînées blanches, serpentant tels les vestiges d'un désastre passé, signent d'une vie brisée. Heureusement pour moi, elles commençaient à s'atténuer et bientôt elles seraient imperceptibles, sauf pour celui qui s'y attarderait et s'y pencherait. Mais qui voudrait regarder un éclopé ?

Parce que c'est ce que je suis, oui, un éclopé. Un jeune adolescent brisé par la vie. Brisé par un stupide accident, par une stupide malchance. Quand je regarde mes jambes, j'ai parfois envie de pleurer. Jamais plus je ne pourrai remarcher comme avant, je boiterai toujours un minimum, et si jamais j'arrivais à ne plus boiter, je ne pourrai plus jamais courir. Mes muscles étaient désormais trop abîmés pour cela. Je vous jure, il n'y a pas plus aberrant pour un sportif que de savoir qu'il ne pourra plus jamais courir. Et pourtant. C'est exactement cela, plus jamais je ne courrai. Soufflant, résigné face à mon sort, je pris sur moi. Me rappelant qu'il y avait pire dans la vie, essayant de lutter contre ce désespoir naissant, contre cette déprime envahissante. Mon père avait raison, je ne devais pas me laisser abattre, bien que ce ne soit pas l'envie qui m'en manque. Je me rappelais alors que j'avais toujours été un battant, bien qu'à l'heure d'aujourd'hui je n'en sois plus très sûr. À vrai dire, je n'étais plus sûr de rien. Tout ce que je pouvais affirmer avec certitude, c'est que ma vie avait volé en éclats à l'instant même où j'avais percuté cette voiture.

Fixant mes jambes camouflées par mon jean, je soupirais, entendant mon père m'appeler. M'ordonnant de me dépêcher si je ne voulais pas arrivez en retard au lycée. Si seulement il savait à quel point je n'en avais rien à faire d'être à l'heure. À vrai dire, je n'étais pas particulièrement pressé de retourner au lycée. Pourtant je le devais bien, j'avais déjà passé deux mois en dehors de ces murs, un mois d'hospitalisation, un mois de rééducation intensive. Fermant les yeux, je fis abstraction de la douleur et poussais sur mes jambes. L'effort demandé, me causa un véritable supplice, pourtant je venais de réaliser un geste que n'importe qui faisait le matin en se levant, le plus simplement du monde. Sauf que voilà, moi, mes jambes étaient foutues, et ce à jamais. J'entamais alors ma lente progression jusqu'à la voiture, grimaçant malgré moi. « Ne t'en fais pas, la souplesse de tes muscles reviendra petit à petit », disait ce foutu kiné. Je lui en foutrais moi, des petits à petits, il va m'entendre ce soir après avoir passé ma journée à arpenter les couloirs du lycée.

Quand j'arrivais enfin à la voiture, mon père Ignir me fit un sourire encourageant, comme pour me montrer que ce n'était pas la fin du monde. Sauf qu'il ne semblait pas comprendre que mon monde à moi s'était déjà écroulé, qu'il était déjà fini. Non, pour lui, ce n'était rien, enfin si l'on peut dire. D'un côté, je pouvais le comprendre, il avait cru me perdre, moi son fils aîné. Alors forcément le simple fait que je sois en vie lui suffisait. D'ailleurs, il faisait tout son possible pour me changer les idées, mais rien n'y faisait. Je n'étais pas particulièrement réceptif à ses efforts et j'avouais avoir tendance à me renfermer sur moi-même depuis l'accident, et je m'en voulais. J'aurais voulu être ce même garçon qu'il y a quelques mois. Bagarreur, plein de vie, croquant celle-ci à pleines dents, toujours de bonne humeur... Un boute-en-train. Sauf que voilà, la vie en avait décidé autrement. La vie avait décidé que je ne serais plus cette personne. Désormais, j'étais un jeune homme morne, anéanti, limite dépressif selon les médecins, mais qu'est-ce que je m'en fiche. Ce n'était pas eux qui avaient à vivre, ce que je vivais, et ce n'était pas eux qui allaient devoir faire semblant d'être quelqu'un que l'on n'est plus pendant une journée. Car oui je ne me leurrais pas, j'allais devoir faire semblant que tout va bien. Faire semblant que je ne souffre pas le martyre en permanence, que le fait de les voir rire, courir ne m'affectait pas.

Tu m'as redonné espoirWhere stories live. Discover now