Chapitre 3

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Satisfait, Roméo bouclait ses derniers cartons. Il avait en effet passé plusieurs jours à tout empaqueter, et voyait le bout de ce monstrueux déménagement qui occupait tout son temps. Le nouveau propriétaire de la maison avait bouclé les papiers d'achat en un temps record, ce qui avait laissé au jeune homme seulement quelques semaines pour évacuer la bâtisse de toutes les affaires personnelles qui l'encombrait. Croyance Cosmé, car tel était le nom de l'acheteur, avait eu la gentillesse de lui proposer son aide pour le transfert, mais avait décliné l'offre réciproque que lui proposait l'érudit, prétextant qu'il avait beaucoup moins de choses à apporter.

Alors Roméo, qui venait de scotcher, non sans mal, la dernière boite, l'empilait maintenant en compagnie des autres dans le hall d'entrée. L'appartement qui l'attendait en centre-ville était apparemment entièrement meublé, donc il avait souhaité laisser tous les meubles inutiles à sa nouvelle vie dans cette vielle maison poussiéreuse, ce qui n'avait posé aucun problème à Mr Cosmé, et l'avait au contraire réjoui. Cet homme était d'ailleurs vraiment étrange. Que venait-il faire dans cet immense château laid, alors que des milliers de bâtiments du même prix et bien mieux entretenus étaient à sa disposition. Roméo, par peur de le gêner, ne lui avait pas posé la question, même si elle lui brulait les lèvres, mais il s'interrogeait constamment.

Le soir, étendu sur son lit, il pleura des heures durant, une photo de sa famille défunte posée sur son cœur. Et lorsque, à court de larmes, les joues trempées, il réussit à s'endormir, il était 3 heures passées.

Le lendemain matin, aux aurores, il était debout et buvait un café serré accompagné d'un muffin aux cassis, sans conteste son parfum favori, afin de se réveiller complétement. Après une sommaire toilette, il s'habilla d'un simple jogging noir ainsi que d'un t-shirt assorti, s'échauffa longuement, et fit quelque chose qu'il n'avait pas fait depuis l'assassinat. Il partit courir.

Non qu'il ait délaissé son corps durant tout ce temps, loin de là d'ailleurs, mais sa méfiance l'avait poussé à cesser toute activité à l'extérieur, cependant, en se réveillant, il s'était décidé à sortir de cette maison, pas seulement pour aller relever son courrier, cette fois. Il avait compris que s'il devait mourir, il mourrait, et finalement ce ne serait pas si grave puisqu'il pourrait aller retrouver au paradis toute sa défunte famille, et s'il ne mourrait pas, il s'estimerait heureux d'avoir été épargné. Et cette réflexion fit naître en lui comme un sentiment de renaissance. Il était prêt à, enfin, vivre et être heureux, malgré ce passé qui l'avait tant meurtri, il était désormais prêt à exister une nouvelle fois.

Il parcourut les premiers kilomètres assez facilement, avec une destination bien précise, le cimetière. Il voulait faire un dernier au revoir, à Armen et à Eros, avant de partir, même si son nouvel appartement était situé à l'autre bout de la ville, et qu'il ne lui faudrait qu'une heure pour revenir ici. C'était sa manière à lui de faire une croix sur cette époque de sa vie.

Le cimetière étant situé en plein milieu des bois dans la périphérie de la ville, il ne croisa presque personne, excepté un couple s'embrassant sur le banc à l'orée de la forêt. Cette vision le remplit de tristesse, si bien qu'il sentit presque ses yeux s'embuer légèrement avant de se reprendre et de continuer à courir. Les derniers mètres furent les plus durs. Il n'était venu ici qu'une fois, lors des funérailles, et ça avait été un véritable enfer, car tous les gens présents étaient plus qu'inconnus pour lui, mis à part quelques collègues de travail de son père, qu'il avait entraperçu lors des réunions que ce dernier organisait souvent dans le manoir, et pire, tous lui adressaient un regard de pitié, servi avec le typique « Pauvre garçon » prononcé à voix basse.

Il passa le grand portail majestueux, quoique un peu branlant, en fer forgé, d'un pas qu'il essayait de montrer décidé, alors qu'en réalité, il était proche de sa crise de larmes quotidienne, et flâna quelques instants entre les rangées de vielles sépultures en pierre, respirant l'odeur des fleurs que les familles endeuillées avaient déposées sur la tombe de leurs défunts, percevant l'air saturé de tristesse et de larmes, s'attardant sur des pierres tombales qu'il prétendait trouver magnifiques, alors qu'en réalité, tout était prétexte à perdre du temps, pour arriver moins vite au moment fatidique, où il retrouverait le caveau familial, et devrait assumer la culpabilité qu'il ressentait à l'idée de quitter les lieux qui l'avaient vu grandir.

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⏰ Last updated: Jan 01, 2021 ⏰

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AU NOM DE L'ÂMEWhere stories live. Discover now