5 - Un étranger

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Le cahot du train faisait bringuebaler les valises sur les filets. Albus Dumbledore jetait des coups d'oeil réguliers par la fenêtre. Il lui semblait que le Poudlard Express filait plus vite que d'habitude, trop vite. Il n'avait aucune hâte d'arriver à Londres, car il savait ce que cela signifiait. Poudlard ne serait plus un refuge pour lui, plus une excuse bien trouvée pour éviter de passer du temps à Godric's Hollow. Ce dernier trajet en train n'avait rien de ce qu'il avait imaginé durant toutes ces années. Il avait cru qu'il quitterait le château heureux, plein d'ambition, plein de projets. Il avait cru qu'il n'aurait à retourner chez lui qu'une semaine avant d'entamer son fameux tour du monde avec Elphias. Mais jamais il n'avait cru que ce dernier trajet serait aussi morose, et synonyme de la fin de toutes ses ambitions. Ces sept années étaient passées à toute vitesse et il les regrettait déjà.

- Albus ?

Elphias l'interpella pour la cinquième fois au moins depuis qu'ils avaient quitté la gare de Pré-Au-Lard. Albus se tourna vers lui, navré.

- Pardon, tu m'as dit quelque chose ? Je suis désolé, j'étais encore perdu dans mes pensées.

- Je ne t'en veux pas, ne t'inquiète pas, dit Elphias avec un sourire. Tu as eu des nouvelles d'Ariana ?

Albus haussa les épaules. Il n'avait pas eu de nouvelles de Bathilda, et prenait cela pour un signe positif. Après tout, lui et Abelforth n'étaient partis qu'une petite semaine, à peine. Il espérait que rien de dramatique ne s'était produit mais il avait confiance en Bathilda.

- Tu me tiendras au courant de tes résultats d'ASPICS hein ? Même si je ne doute pas qu'ils seront brillants.

Albus esquissa un sourire. Les épreuves s'étaient bien passées, malgré son humeur difficile. Il avait réussi à garder son sang-froid durant celles-ci et espérait bien exceller, comme le disait Elphias, même si finalement tout cela ne lui servirait pas à grand-chose. Il aurait au moins la satisfaction d'avoir achevé sa scolarité dans le succès.

- Et toi, tu vas réussir à les recevoir pendant le voyage ? Tu seras en Egypte, si je calcule bien ?

Albus devait se forcer à garder un ton léger lorsqu'il abordait le voyage, qu'ils avaient peaufiné pendant près de trois ans.

- On verra bien si la chouette de l'école me trouve, s'amusa Elphias. Sinon, je les recevrai à mon retour, ça n'est pas pressé après tout.

Albus rit à son tour. Il se voyait mal garder patience quant aux résultats de ses examens. Le train ralentit. Albus jeta un coup d'oeil à la fenêtre. Au loin, la silhouette de Londres s'étendait dans un léger brouillard huileux dû au soleil éclatant. Il approchaient. Albus entreprit de ranger ses affaires et attrapa sa valise. Elle semblait aussi lourde que l'était sa peine. Il avait envie de se cacher dedans et de rester là, en gare jusqu'à la rentrée suivante. Mais il prit la direction du couloir, suivi de près par Elphias. Une horde d'élèves de tous âges se massaient dans le wagon, en direction des portes. La plupart discutaient joyeusement. Les plus jeunes se réjouissaient déjà des vacances. Ils descendirent sur le quai. Albus chercha Abelforth des yeux et remarqua sa silhouette au loin. Il se tourna vers Elphias. L'heure était venue de se dire au-revoir. Le jeune homme affichait un air désolé, le même qu'il affichait chaque fois qu'il était question de la séparation et du voyage. Albus esquissa un sourire.

- Fais pas cette tête Elphias. On se revoit vite, d'ici un an, et tu auras tellement de choses à me raconter que tu seras obligé de prendre un appartement à Godrics'Hollow.

Elphias éclata de rire.

- Tu auras mes lettres, comme promis, répondit-il.

Albus l'observa un moment. Le visage d'enfant constellé de tâches s'imprimait en filigrane sur ses paupières, par-dessus le visage de jeune homme de son ami. Il avait bien changé, pourtant, il avait toujours été là. Tout bien considéré, il était là son plus précieux et son seul ami. Il était aussi le seul à qui il pouvait parler, même s'il ne pouvait pas tout lui dire. Albus avait l'impression qu'il ne pourrait jamais tout dire à qui que ce fût. C'était comme si son âme, son intériorité était trop complexe pour être comprise dans ses moindres détails. Mais il appréciait énormément Elphias et lui était reconnaissant de toute la gentillesse dont il avait fait preuve. La perspective de ne plus le voir durant un an lui était pénible. Il s'avança tout à coup, sans réfléchir, et serra son ami dans ses bras. Ce dernier eut un bref moment de recul, décontenancé par cette manifestation d'amitié inhabituelle, puis le serra à son tour.

L'éternité est amèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant